Phénicie, et
implantations autour de la Méditerranée (Chypre, Malte, Sicile, Sardaigne,
Afrique du nord, péninsule Ibérique)
Région
actuelle
Proche-Orient (Liban)
Frontière
Israël et Philistins au sud ; Araméens puis Syrie à l'est et au nord.
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Les Phéniciens sont un peuple antique originaire des cités de Phénicie, région qui correspond approximativement au Liban actuel. Cette
dénomination provient des auteurs grecs qui ont écrit à leur sujet. La Phénicie a toujours été
divisée entre plusieurs cités, dont les plus importantes étaient Byblos, Sidon (Sayda), Tyr (Sour) et Arwad, et on ne sait pas si
celles-ci ont eu conscience d'une identité commune. Les historiens ont repris
l'adjectif « phénicien » pour désigner la civilisation qui s'est
épanouie dans la région entre 1200 et 300 av. J.-C.
Les racines de la civilisation phénicienne se trouvent dans les
cultures de la façade méditerranéenne du Proche-Orient du IIe millénaire av. J.‑C. Toutes les villes de la future Phénicie existent déjà.
Capitales de petits royaumes indépendants mais reliés par une certaine
communauté de langue et de croyance, ce sont des cités marchandes
importantes, et elles partagent une culture dont les Phéniciens sont les
héritiers directs. À la suite des bouleversements qui touchent le
Moyen-Orient vers 1200, une nouvelle ère s'ouvre pour elles. Dégagées de la
tutelle des anciennes puissances qui les dominaient (Nouvel Empire égyptien, Empire hittite), elles disposent
d'une période d'autonomie qui leur permet d'étendre considérablement leurs
réseaux commerciaux, puis de se lancer dans un mouvement d'expansion sur les
rives de la mer Méditerranée. Les Phéniciens émigrés fondent alors des cités sur
différents sites de Chypre, de Sicile, de Sardaigne, de Corse, de la péninsule Ibérique, de Grèce (Turquie actuelle) et d'Afrique du
Nord.
À partir du viiie siècle av.
J.-C., les cités phéniciennes perdent leur
autonomie, étant successivement dominées par les Assyriens, les Babyloniens, les Perses, les Macédoniens (Lagides et Séleucides), puis les Romains. Elles préservent
cependant leur importance commerciale et poursuivent leur expansion.
Parallèlement, les implantations phéniciennes de la mer Méditerranée
occidentale tombent sous la coupe de la plus puissante d'entre elles, Carthage, phénomène qui aboutit à
la création d'une civilisation spécifique, dite « carthaginoise » ou « punique ». Reprenant des éléments des cultures indigènes, Carthage, variante occidentale de
la civilisation phénicienne, connaît sa propre évolution. Elle s'effondre
néanmoins face à l'expansion romaine au iie siècle av.
J.-C., après les guerres
puniques. Mais aussi bien en Phénicie qu'en
Afrique du Nord, les cultures locales conservent des aspects particuliers
jusqu'aux premiers siècles de notre ère.
Les Phéniciens étaient des navigateurs audacieux, excellents
marchands et artisans. Il est difficile d'aller au-delà des témoignages
extérieurs sur les Phéniciens, car les sources provenant de Phénicie sont
très limitées : très peu de textes écrits, peu de sites fouillés.
L'accomplissement le plus connu de la civilisation phénicienne
est la mise au point de l'alphabet phénicien, qui est sans doute à l'origine des alphabets les plus répandus
dans le monde (l'alphabet grec, duquel s'inspirent les Romains pour créer l'alphabet latin, l'alphabet araméen, entre autres),
même s'il ne s'agit pas du premier alphabet. La civilisation phénicienne
présente de nombreux points communs avec celles des populations qui l'ont
précédée au Levant (que l'on regroupe souvent sous le terme de « Cananéens »), ce qui permet
de mieux comprendre certains aspects de leurs institutions politiques et
surtout de leurs croyances et pratiques religieuses.
Qui étaient les Phéniciens ?[modifier | modifier le code]
Avant la période hellénistique, les Phéniciens ne se sont jamais
définis eux-mêmes comme un peuple : durant toute leur histoire, ils ont
été divisés entre plusieurs royaumes, et devaient plutôt s'identifier en
référence à ceux-ci. Ce sont les textes grecs qui désignent ce peuple par le
terme Phoinikes, et la
région où ils vivent comme Phoinike, la Phénicie, et ce, dès l'époque d'Homère. Aucune explication
pleinement satisfaisante de l'origine de ce terme n'a pu être apportée1 : il a souvent été mis en
rapport avec le terme grec phoinix, le « palmier »2, ou encore « rouge pourpre »3, qui pourrait renvoyer à la
couleur tannée de la peau des Phéniciens, ou bien à l'une de leurs
productions les plus réputées, les tissus teints en pourpre mais aussi à la
couleur rouge de la mer sur les côtes de Palestine et de Beyrouth4 qui indiquerait la présence
de fer dans le fond de la mer et la rendrait rouge. Ce qui expliquerait en
partie la mer vineuse citée dans Homère, encore que d'autres explications crédibles concerneraient
les algues5, la
couleur de la mer au couchant, ou celle au levant.
Les Grecs reconnaissent aux Phéniciens qui viennent commercer en
Grèce des talents évidents dans les activités marchandes, la navigation, et
la qualité des productions des artisans de leur pays. Les apports des
Phéniciens au monde grec (en particulier l'alphabet) se retrouvent dans
plusieurs textes et des mythes, en particulier ceux relatifs aux enfants d'Agénor de Tyr : Cadmos fondateur de Thèbes, enlèvement d'Europe. D'autres fois, l'invention
de l'arithmétique leur était attribuée6. Mais les textes grecs les décrivent souvent en termes
négatifs, comme des gens peu scrupuleux, brigands et voleurs7. Ces descriptions révèlent sans
doute autant sur ceux dont elles parlent que sur ceux qui les écrivent :
les auteurs grecs se confrontent à ces gens venus de l'extérieur et en
exposent les différences par rapport à eux-mêmes. Ils forgent leur propre
identité grecque face à cet « autre »8.
Durant l'Antiquité, il n'y a pas, en dehors des textes grecs, un
terme équivalent à Phéniciens. Les textes proche-orientaux (notamment la
Bible) et égyptiens parlent souvent d'une région appelée « Canaan » et de ses habitants,
les « Cananéens », à localiser dans la région levantine. Mais ces
termes concernent aussi la Palestine et la partie méridionale de la Syrie,
donc beaucoup plus que la Phénicie9. Cependant à l'époque hellénistique au moins le terme Canaan
peut être un synonyme des termes grecs Phénicie et Phéniciens, comme
l'indique un monnayage de Beyrouth daté du iiie siècle av. J.-C. ayant
une légende en grec Laodikeia he en
Phoinikē, « Laodicée de
Phénicie », et en phénicien lʾdkʾ
ʾš bknʿn, « Laodicée de
Canaan » (nouveau nom de la ville)10.
Se pose alors la question des critères restant aux historiens
pour mieux définir ces Phéniciens qui n'avaient sans doute pas conscience de
l'être, ou alors ne l'ont eu qu'à une époque tardive en raison d'influences
extérieures grecques et romaines11. L'aire géographique est le premier critère évident :
les Phéniciens occupent une région côtière, la Phénicie. Comme souvent pour
essayer de distinguer les peuples dans l'Antiquité, il y a le critère de la
langue : les sites de Phénicie ont livré des inscriptions en alphabet phénicien, rédigées dans
une langue ouest-sémitique, le phénicien. Celle-ci se retrouve bien sur les sites de Phénicie, même si
on décèle des variantes régionales suivant les différents royaumes, et aussi
en dehors12. Le fait
que la religion et l'art y soient plutôt similaires renforce cette impression
d'unité, mais la culture matérielle de la Phénicie présente aussi des
variantes régionales. Enfin, l'évolution historique de la région est à
prendre en compte. Les cités de Phénicie existent toutes au iie millénaire, et font face à
partir de 1200 à des bouleversements qui marquent le début d'une nouvelle
ère, ancrés comme eux en grande partie dans le passé cananéen de l'âge du
Bronze : l'arrivée des « Peuples de la
Mer », en particulier les Philistins qui s'installent
au sud de la Phénicie, puis celle des Araméens à l'est, et l'émergence des Israélites au sud. Peu après,
le phénomène de l'expansion en Méditerranée ne concerne que les ports de
Phénicie13.
La redécouverte de la civilisation phénicienne[modifier | modifier le code]
Les sources grecques, romaines ainsi que bibliques ont préservé
le souvenir des Phéniciens jusqu'aux érudits de l'Europe du xviie siècle, qui les premiers tentèrent de redécouvrir ce peuple en
allant au-delà des sources antiques traditionnelles, par exemple Samuel Bochart. Cela passe d'abord
par des récits de voyageurs allés au Levant, qui décrivent les monuments phéniciens encore visibles. La
redécouverte d'inscriptions en alphabet phénicien sur divers sites des rives
de la mer Méditerranée permet le progrès de la recherche.
Une inscription bilingue phénicien-grec sert de base à
l'abbé Jean-Jacques Barthélemy pour faire progresser le déchiffrement de cette écriture
en 1758. Ses travaux ne sont pas reconnus de son vivant, et c'est le
philologue allemand Wilhelm Gesenius qui lui rend justice et lance vraiment l'épigraphie
phénicienne par ses publications. Dans cette même période, plusieurs savants
(M. Vargas-Machuca, A. Heeren, F.-C. Movers, etc.) entreprennent des études sur les
Phéniciens, tentant d'aller au-delà des sources antiques. S'intéressant en
particulier à l'influence phénicienne en Méditerranée, ils développent la
théorie des Phéniciens jouant le rôle de civilisateurs, transmettant les
lumières de l'Orient en Occident14.
Les études sur l'« Orient » font en effet de
considérables progrès durant la première moitié du xixe siècle : expéditions scientifiques en Égypte, redécouverte des sites de
l'Assyrie. En 1860,
dans un contexte d'une intervention française au Liban pour aider les
communautés chrétiennes de la région, le philologue et historien français Ernest Renan est mandaté par Napoléon
III pour une mission d'exploration d'un an
en Phénicie. Cette mission réalise de nombreux repérages de monuments. Dans
ses interprétations, Renan reste marqué par une approche hellénocentrique, et
voit l'art phénicien comme celui d'imitateurs incapables de création, opposé
à celui des Grecs15.
La seconde moitié du xixe siècle voit
l'essor de l'exploration des différents lieux d'implantation phénicienne en
Méditerranée : Carthage d'abord, avec notamment les fouilles entreprises par
le père Delattre,
mais aussi les sites de Sardaigne, de Sicile, de la péninsule Ibérique, Chypre. Mais à la fin du siècle et au début du suivant, le regard de
nombreux chercheurs a évolué par rapport à leurs prédécesseurs qui voyaient
l'influence orientale partout : l'identité sémite des Phéniciens est
mise en avant, et certains cherchent à minimiser leur rôle, ou à nier
l'origine sémite de leurs réalisations les plus influentes. Mais cela est
contrebalancé par d'autres travaux : Victor
Bérard qui cherche à remettre en avant
l'idée d'une influence majeure des Phéniciens dans le monde méditerranéen, et
surtout Stéphane Gsell qui publie les huit volumes de son Histoire ancienne de l'Afrique du Nord, synthèse majeure sur l'histoire carthaginoise16.
Durant la première moitié du xxe siècle, l'exploration des sites phéniciens et puniques se poursuit.
L'étude de la civilisation phénicienne connaît de grands progrès après les
années 1960, avec un plus grand effort pour mettre en commun les travaux des
épigraphistes et des archéologues. En raison des troubles politiques qui ont
lieu au Liban, les fouilles des sites de Phénicie sont rendues difficiles.
C'est dans la Méditerranée occidentale que l'exploration des sites
archéologiques connaît les progrès les plus remarquables17.
En 1979 se tient à Rome le premier Congrès
international des études phéniciennes et puniques,
sous l'impulsion de Sabatino Moscati, cherchant à mettre en commun les travaux des spécialistes
des Phéniciens et des Carthaginois venant de différents pays. Depuis,
plusieurs expositions ainsi que des ouvrages collectifs permettent de faire
régulièrement le point sur les avancées des chercheurs.
Les sources disponibles[modifier | modifier le code]
Inscription
en alphabet phénicien retrouvée à Cebelireis Daği près d'Alanya, Turquie, fin du viie siècle av. J.-C.,
rapportant un transfert de propriété foncière. Musée archéologique
d'Alanya.
Les Phéniciens n'ont laissé que peu de témoignages écrits
permettant de reconstituer leur histoire. La répartition géographique des
inscriptions en phénicien est d'ailleurs largement à l'avantage de l'aire
carthaginoise (Tunisie et
reste de l'Afrique du Nord, Sicile, Sardaigne, Malte, etc.), tandis que celles provenant de Phénicie constituent
un corpus très limité, et que celles provenant du reste de la Méditerranée
orientale (Chypre, Syrie, monde égéen) sont guère plus abondantes.
La reconstitution de l'histoire phénicienne passe donc par des
sources textuelles extérieures, rédigées par des personnes ayant rencontré
les Phéniciens. Ce type de source forme un ensemble disparate : on y
trouve un récit romancé égyptien comme l’Histoire
d'Ounamon, les inscriptions royales d'Assyrie ou de Babylonie, des textes économiques
mésopotamiens, divers passages de la Bible
hébraïque, et divers auteurs de langue grecque (Homère19, Hérodote, Strabon) ou latine (surtout
sur Carthage).
Quelques-unes de ces œuvres reposent sur des documents
phéniciens disparus qui ont été compilés et résumés, notamment dans les
écrits de Flavius Josèphe ou
ceux de Philon de Byblos dont le contenu est connu par le biais d'Eusèbe de Césarée. Il s'agit donc
généralement de textes biaisés, dans lesquels les Phéniciens sont présentés
suivant les représentations que leurs voisins avaient d'eux.
Un type de source épigraphique mobilisable pour reconstituer
l'histoire et la civilisation des Phéniciens est antérieur au développement
de ceux-ci : il s'agit des sources cunéiformes provenant de sites du Proche-Orient du IIe millénaire av. J.‑C. présentant des antécédents de la civilisation
phénicienne. Le corpus de textes le plus important est celui provenant du
site de Ras Shamra, l'antique Ugarit, l'un des principaux ports de commerce de l'âge du bronze
levantin, en Syrie actuelle, qui disparaît avant l'émergence de la
civilisation phénicienne. Ils offrent des parallèles très utiles pour l'étude
de la religion, des institutions et de l'économie phéniciennes20.
Les fouilles archéologiques en Phénicie ont été limitées. Les
sites phéniciens sont pour la plupart encore occupés de nos jours, et ne
peuvent donc faire l'objet de campagnes de fouilles importantes. Seuls
quelques secteurs urbains ont pu être mis au jour, notamment à Byblos et Beyrouth. Les nécropoles, situées
en marge des villes, ont pu être plus aisément explorées, et des petits sites
abandonnés depuis l'Antiquité ont pu faire l'objet de fouilles durables (Tell Kazel, Sarafand/Sarepta, Tell Arqa, Oum el-Amed, etc.)21.
Les fouilles des sites des implantations phéniciennes en
Méditerranée sont plus nombreuses, notamment à Chypre mais surtout dans le
bassin occidental (Malte, Sicile, Sardaigne, Tunisie, Maroc, péninsule
Ibérique). Elles ont permis de faire considérablement progresser la
connaissance de la civilisation phénicienne et punique.
Les cités de Phénicie et leur histoire[modifier | modifier le code]
Présentation générale[modifier | modifier le code]
La Phénicie est une mince bande côtière s'étendant
approximativement d'Akko (Acre)
au sud jusqu'à Tell Suqas au nord voire El-Mina (c'est discuté22). Elle est bordée par la Méditerranée à l'ouest, et des
régions montagneuses à l'est, le Djébel
Ansariyeh et le Mont-Liban. Les voies de
communication terrestres le long du littoral sont en général aisées (même si
la montagne borde parfois directement la mer), mais en revanche celles
conduisant vers l'intérieur sont gênées par la présence des montagnes, et il
faut passer par quelques voies de passage moins élevées, notamment la trouée
de Homs qui
conduit de la plaine de la Bekaa à la vallée de l'Oronte au nord. L'espace agricole utile des cités phéniciennes
est souvent limité, leur arrière-pays plat étant de taille réduite, mais la
présence de nombreux cours d'eau coulant depuis les montagnes devait
permettre une agriculture assez prospère. Les informations sur les
productions agricoles phéniciennes sont limitées, mais il faut admettre
qu'elles étaient similaires à celles des autres civilisations du Levant
antique : céréales, divers fruits et légumes, avec une place importante
pour la vigne et l'olivier, ainsi que du petit bétail23. Les cèdres qui poussent dans
les montagnes sont également une ressource importante pour les cités
phéniciennes24.
La fragmentation de l'espace a sans doute joué un rôle dans la
fragmentation politique de la Phénicie. Celle-ci était divisée entre un
chapelet de petits royaumes indépendants s'égrainant le long de la côte,
d'Al-Mina et Arwad au
nord à Tyr, Ascalon et Gaza au sud. Ces États sont dominés par une grande ville
côtière ou insulaire développée autour d'un ou deux ports très actifs qui
sont la base de sa richesse : du nord au sud Arwad, Byblos, Sidon et Tyr. La bande littorale constitue
leur arrière-pays agricole, où se trouvent parfois d'autres villes
importantes situées dans la mouvance de la capitale (Sarepta, Khaldé, Amrit, etc.), et où les royaumes
peuvent quelquefois s'étendre loin. D'autres villes ont pu servir de centre à
des entités politiques moins bien connues, comme Beyrouth (qui prend son essor
aux périodes perse et surtout hellénistique), Arqa et Sumur (Tell Kazel)25.
Organisation politique[modifier | modifier le code]
Bas-relief sur stèle représentant le roi Yehawmilk de Byblos (à droite) rendant
hommage à la déesse de la cité, la « Dame de Byblos » (à gauche).
Vers 450 av. J.-C. Musée du Louvre.
L'organisation politique de ces royaumes est mal connue. Ils
avaient à leur tête des rois (mlk) se succédant suivant un principe dynastique. Ils sont
surtout connus par leurs inscriptions rapportant leurs activités religieuses
(construction de temples) et semblent avoir eu un rôle religieux très
affirmé ; Itthobaal de Tyr est ainsi présenté comme « prêtre
d'Astarté », de même que les rois Sidoniens de la dynastie d'Eshmunazar.
Les rois étaient considérés comme étant les représentants
terrestres de la divinité tutélaire de leur royaume, qui les avait élu à leur
fonction. Sur les sceaux, ils sont couramment représentés portant un sceptre
(ḥṭr)
symbolisant leur fonction. Ils servaient de chef militaire du royaume, mais
leur puissance militaire limitée a sans doute réduit l'importance de ce rôle.
L'autre grand aspect de la fonction royale est le rôle de juge suprême du
royaume, qui devait être exercé suivant les principes de
« justice » (ṣdq) et de « droiture » (mšr) présents dans plusieurs inscriptions. Ces aspects de la
royauté sont similaires à ceux attestés aux périodes précédentes dans la
région, notamment à Ugarit26. Les dignitaires assistant le
souverain dans ses fonctions administratives, militaires et judiciaires sont
très mal connus, seuls quelques titres étant attestés dans des textes
n'indiquant pas grande chose sur la fonction réelle de leurs détenteurs. Il existait
apparemment un conseil des Anciens à Tyr, dont le rôle n'est pas clair27,28.
Au début de la période hellénistique (entre 330 et 250) les rois des cités phéniciennes sont
destitués par les rois grecs, et ce sont les institutions constituées de
magistrats qui prennent seules le relais. Elles s'inscrivent dans la
continuité des institutions civiques existant déjà à l'époque monarchique, et
s'inspirent sans doute aussi des institutions des cités grecques. Les textes
de cette période indiquent les noms de plusieurs titres de magistrats, mais
ils sont donnés en phénicien (suffètes, rab) ou en grec (archontes, dikastes), et il est difficile de faire correspondre les titres connus
dans les deux langues29.
Ces magistrats se retrouvent dans les colonies phéniciennes, en particulier
à Carthage, où
leurs fonctions sont un peu mieux connues grâce aux descriptions des auteurs
grecs et romains, en particulier les suffètes qui constituent l'élite
politique. Cette cité était dirigée par deux assemblées (ʿm) légiférant et délibérant
sur les affaires les plus importantes30.
Les villes phéniciennes[modifier | modifier le code]
Ruines du site archéologique de Byblos.
Image satellite d'Arwad.
Photographie aérienne de Tyr en 1934. L'île antique est reliée au continent par une
bande de terre depuis le siège d'Alexandre le
Grand.
L'organisation de l'habitat en Phénicie même reste mal connue,
en raison du faible nombre de sites urbains fouillés et du manque de
prospection au sol.
Cependant, les fouilles récentes, accomplies depuis les années
1990, ont permis quelques progrès dans notre connaissance de la Phénicie. Les
cités étaient fondées sur des promontoires rocheux, disposant souvent de deux
ports, au nord et au sud ; les îles voisines de la côte étaient
également occupées sans doute parce qu'elles étaient plus faciles à défendre,
en particulier Tyr et Arwad31.
Dans le cas des sites continentaux, des villes basses s'étendaient en
contrebas des villes hautes juchées sur les hauteurs rocheuses. Durant l'âge
du fer, ces sites sont de dimensions modestes : 40 hectares
pour Arwad et 16 hectares au mieux pour Tyr (en admettant que les
deux îles soient occupées sur toute leur surface), mais 5-6 hectares
pour Sidon et Byblos, 4-5 hectares pour Sarepta et 3 au maximum
pour Beyrouth.
Les seuls monuments connus sont des temples, aucun palais n'ayant été dégagé
pour l'époque phénicienne.
Byblos (Gubla dans les textes
antiques, l'actuelle Gebeil) est une des plus anciennes des cités du littoral
phénicien, disposant d'un grand prestige. Il s'agit d'un centre important, où
ont été retrouvés les plus anciens exemples de l'alphabet phénicien, qui
pourrait avoir été inventé dans cette cité. Son importance politique et
économique s'affaisse progressivement dans le courant du ier millénaire, mais elle garde
un prestige religieux et intellectuel33,34,35.
Sidon, l'actuelle Saïda, a sans doute eu
une grande importance politique aux débuts de la période phénicienne. Mais
elle est très mal connue, les fouilles ayant surtout dégagé des nécropoles
situées dans son arrière-pays. C'était une cité artisanale et marchande très
active, peut-être même la première à se lancer dans des expéditions
lointaines en Méditerranée. Elle était en tout cas bien connue dans le monde
égéen. Elle domine d'autres cités phéniciennes importantes comme Sarepta ou Khaldé, et semble
très liée avec sa voisine Tyr, avec laquelle elle est unie aux ixe – viiie siècles av.
J.-C. Elle reste par la suite une cité majeure, profitant notamment de
ses liens avec les rois perses et grecs pour étendre son territoire36,37,38.
Tyr doit son nom phénicien Sôr (aujourd'hui Sour), le
« Rocher », à sa localisation sur une île rocheuse lui assurant une
protection face aux invasions, avant d'être reliée à la côte par une chaussée
érigée lors de son siège par les troupes d'Alexandre
le Grand. Cette cité est la plus active dans les
échanges internationaux et l'expansion méditerranéenne des Phéniciens durant
la première moitié du ier millénaire, et reste très importante par la suite39,40,41.
Situé au nord de la Phénicie, Arwad (Rouad) est tout comme Tyr une cité insulaire, située à
2,5 kilomètres de la côte. Elle a étendu son territoire sur le littoral
voisin, organisé autour de la ville d'Amrit qui fait face à Arwad. Cette cité
étant en général le premier port méditerranéen rencontré par les rois venus
de Mésopotamie et de Perse quand ils font route vers la Méditerranée. Comme
les autres grandes villes phéniciennes, il s'agit d'un centre commercial très
actif42,43,44.
Beyrouth (Bérytos en grec) n'a pas une grande importance durant la majeure
partie de la période phénicienne et apparaît peu dans les textes de l'époque.
C'est sans doute un site de taille réduite, peut-être la capitale d'un
royaume sans grande importance. Son essor commence à partir de la période
perse, et s'affirme à la période hellénistique, quand ses marchands sont très
actifs, notamment dans le monde égéen. C'est le site phénicien urbain le
mieux connu grâce aux fouilles de sauvetage qui y ont eu lieu dans les années
1990, qui ont notamment dégagé une portion de muraille45.
Origines et premiers développements[modifier | modifier le code]
Les racines à l'âge du bronze récent[modifier | modifier le code]
La situation géopolitique du Moyen-Orient vers 1200 av. J.-C., à la fin
de l'âge du bronze récent.
Lettre du roi de Byblos à Amenhotep III, exhumée à Tell el-Amarna, xive siècle av. J.-C. Musée du Louvre.
Quand le phénomène phénicien commence à émerger aux environs de
1200 av. J.-C., les villes qui en sont à l'origine ont déjà une histoire
longue de plusieurs siècles : Byblos est ainsi un centre commercial très actif qui a dès la
seconde moitié du iiie millénaire des relations avec l’Égypte et la Syrie intérieure (Ebla).
Les informations sur la future Phénicie se font plus précises
grâce à l'abondante documentation sur l'âge du bronze récent
(v. 1500–1200 av. J.-C.), quand la région est placée sous la coupe
des Pharaons du Nouvel Empire égyptien. Les
historiens désignent cet ensemble culturel par le terme
« cananéen », qui se retrouve dans plusieurs textes de l'époque, et
qui est vu comme l'ancêtre direct de la civilisation phénicienne. Les Lettres d'Amarna, correspondance
diplomatique des rois égyptiens Amenhotep
III et Akhénaton datée du xive siècle,
contiennent plusieurs missives envoyées par des souverains des futures cités
phéniciennes (Tyr, Byblos, Sidon)46.
Les abondantes archives exhumées à Ugarit, datées essentiellement du xiiie siècle,
permettent de reconstituer la culture de ce royaume côtier qui illustre bien
la parenté entre culture cananéenne et phénicienne : importance du
commerce maritime, religion présentant des traits similaires à ceux des cités
phéniciennes, premières formes d'alphabet, etc20.
Les textes et objets retrouvés sur ce site montrent également l'existence
d'un commerce maritime actif dans la mer
Méditerranée orientale, dans lequel les
cités côtières du Levant occupent déjà une place majeure, et dont les réseaux
ont servi de base à ceux mis en place à l'époque phénicienne47. L'existence de ces réseaux se
retrouve aussi dans l'épave d'Uluburun, datée de cette période, qui présente des traits similaires à
ceux du commerce phénicien postérieur48. La prise en compte de ces antécédents permet donc de mieux
comprendre la civilisation phénicienne, qui n'est pas apparue ex nihilo49.
Troubles et reprise à la fin du IIe millénaire av. J.‑C.[modifier | modifier le code]
Les historiens considèrent que la civilisation phénicienne
émerge durant la première phase de l'âge du fer (v. 1200–1000 av.
J.-C.). Cette période débute par une grande crise qui affecte tout le
Proche-Orient et marque la fin de l'âge du bronze récent et de ses principaux
empires, les Hittites dont
le royaume disparaît purement et simplement, et l’Égypte dont la sphère d'influence au Levant s'effondre. Les
sites levantins de cette période présentent pour la plupart des couches de
destruction illustrant une période violente. Certains comme Ugarit connaissent alors leur
fin définitive. Ces destructions sont couramment attribuées à des
envahisseurs venus de l'ouest, ceux qu'un texte égyptien désignent comme les
« Peuples de la mer », phénomène encore très mal compris50.
Cela ouvre en tout cas une période de recomposition politique
liée à l'effondrement des grands empires du bronze
récent, à l'arrivée de nouveaux peuples et à la
constitution de diverses entités politiques et d'ensembles culturels au
Proche-Orient : royaumes « Syro-hittites » (ou « Néo-Hittites ») en Anatolie et en Syrie, royaumes Araméens en Syrie, cités des Philistins en Palestine côtière et
Phéniciens sur la côte libanaise. La documentation sur les cités phéniciennes dans ces temps
obscurs est très limitée, empêchant d'avoir une vision assurée de leur
évolution, et notamment de l'impact qu'ont eues sur elles les invasions des
Peuples de la mer. Certains spécialistes considèrent que les cités
phéniciennes ont moins été touchées par ces attaques que les régions situées
à leur nord et à leur sud, qui ont vu plus de destructions et d'installations
de nouveaux venus. D'autres au contraire considèrent qu'elles ont bien subi
des destructions, mais ont survécu et vite récupéré. En tout état de cause,
il est clair que l'impact des nouvelles arrivées a été moins fort qu'au sud
où les nouveaux venus Philistins se sont établis en masse. Il semble que
progressivement les cités phéniciennes, en premier lieu Tyr, aient réussi à retourner la
situation militaire en leur faveur, réussissant à s'étendre au sud sur des
territoires occupés par les Philistins (plaine d'Akko, Tel Dor)51.
Une période d'indépendance et d'expansion[modifier | modifier le code]
La période des xie – xe siècles av. J.-C. est mieux connue que celle
du siècle précédent, même si beaucoup de ces aspects restent obscurs, du fait
du peu de sources (quelques inscriptions royales souvent courtes) provenant
de Phénicie même. Sa reconstitution provient surtout de sources extérieures
et souvent postérieures, les écrits de Flavius
Josèphe et les textes bibliques. Elle est marquée
par une montée en puissance des cités phéniciennes après la crise de la fin
de l'âge du bronze récent, rendue possible par le retrait des grandes
puissances. En effet, en dehors d'une expédition entreprise vers 1100 par le
roi assyrien Teglath-Phalasar Ier qui dit
recevoir un tribut de Byblos, Sidon et Arwad qui pourrait en fait relever plutôt de l'échange
commercial.
L'Histoire d'Ounamon, texte égyptien présentant les péripéties d'un envoyé
du temple d'Amon venu
chercher du bois à Byblos vers le même période, montre que le roi de cette cité,
Zakarbaal, se comporte de façon arrogante face à un représentant des anciens
maîtres de sa cité, dont il n'a aucune crainte : les cités phéniciennes
sont devenues autonomes et ambitieuses. La trame politique des premiers
siècles du ier millénaire ne peut être reconstituée ; en particulier, les
rapports entre les différents royaumes phéniciens ne sont pas documentés. Il
est au mieux possible de repérer l'existence de quatre royaumes majeurs
(Arwad, Byblos, Sidon et Tyr) et de connaître les noms de quelques-uns de
leurs rois sans savoir grand-chose sur les événements52.
Le sarcophage d'Ahiram de Byblos, musée national de Beyrouth.
Byblos est au iie millénaire une des plus puissantes cités phéniciennes. Pour le
début de la période phénicienne, la principale découverte informant sur
l'histoire de cette ville est le sarcophage du roi Ahiram mis au jour dans la
nécropole, dont la datation est débattue, car l'inscription qui y est
inscrite (datée des alentours de 1000 av. J.-C.) serait plus récente que
le sarcophage (qui pourrait remonter aux alentours de 1200). Vers le milieu
du xe siècle av.
J.-C., une nouvelle dynastie prend le pouvoir,
fondée par Yehimilk. Ses successeurs sont connus par des statues qu'ils ont
offertes à des pharaons : Abibaal, Elibaal ; le dernier roi connu
de cette lignée qui s'éteint vers le début du ixe siècle av.
J.-C. est Shipitbaal, connu par une
inscription de construction dans le temple de la déesse tutélaire de la ville
la « Dame de Byblos »33.
Mais durant les deux premiers siècles du ier millénaire, c'est Tyr qui
devient dans des conditions indéterminées la plus puissante des cités
phéniciennes, exerçant peut-être une forme d'hégémonie53. Des sources extérieures
apportent quelques éléments. Flavius Josèphe dans son Contre Apion et le Premier livre des
Rois de la Bible
hébraïque rapportent ainsi le souvenir du
roi Hiram (969-936 ?),
qui aurait apporté son aide matérielle au roi Salomon au moment de la construction du Temple de Jérusalem. Il lui prêta
notamment ses bateaux pour aller chercher des produits dans les pays
lointains d'Ophir et
de Tarshish peut-être la ville actuelle de Tartessos - ce qui donne avant tout à cette alliance un aspect
commercial (les routes traversant le royaume
d'Israël étant d'un grand intérêt pour les
Phéniciens). Il aurait également acheté à son homologue une vingtaine de
cités pour 120 talents d'or, dans le pays de Cabul en Galilée. Flavius
Josèphe fait également de Hiram un grand bâtisseur, ayant notamment reconstruit
le temple du dieu tutélaire de Tyr, Melqart. La réalité derrière ces traditions tardives reste à
éclaircir, d'autant qu'au moins quatre rois de Tyr nommés Hiram sont connus54. Un autre roi de Tyr présent
dans les textes bibliques et de Flavius Josèphe est Ithobaal Ier (r. 887–856 av.
J.-C. ?), qui a donné sa fille Jézabel en mariage au roi Achab d'Israël. Ayant apparemment régné sur Tyr et Sidon réunis, il aurait
initié la fondation de deux colonies au Liban et en Afrique55. L'archéologie indique en tout
cas une expansion de la culture phénicienne vers le sud à compter du xie siècle av. J.-C. et
durant le siècle suivant, dans la plaine d'Acre et jusqu'au Mont Carmel,
imputable à la lumière des sources écrites à une expansion territoriale
tyrienne. On retrouve de la poterie phénicienne et des techniques
architecturales de cette région sur les sites de Tel Dor, Tell Keisan et Tell Abu
Hawam (Haifa), des
prospections dans la plaine d'Acre ont indiqué un accroissement du peuplement
à cette période, et des petits sites fortifiés disposant d'importants moyens
de stockage, servant de point d'ancrage de Tyr dans la région, ont été
identifiés (Tel Kabri, Horbat Rosh Zayit)56.
La puissance commerciale et la richesse de Tyr connaissent leur
apogée à cette période, comme le rapporte le Livre
d’Ézéchiel. La fin du ixe siècle av. J.-C. voit
ce mouvement confirmé par la fondation de colonies tyriennes importantes, en
premier lieu Carthage57.
Les Phéniciens face aux empires orientaux[modifier | modifier le code]
À partir du ixe siècle av.
J.-C., les royaumes phéniciens font face au
retour des ambitions des puissances extérieures qui cherchent à les
soumettre. Grâce aux sources provenant de celles-ci, la trame historique de
la période est bien mieux connue que pour les précédentes. La première phase
est marquée par les expéditions des rois assyriens visant essentiellement à prélever un tribut, puis à
partir de la seconde moitié du viiie siècle av.
J.-C. ils commencent à annexer le territoire
des cités phéniciennes.
Quand l'empire assyrien s'effondre à la fin du viie siècle av. J.-C., le
relais est pris par les souverains de Babylone, qui sont à leur tour supplantés par les rois Perses Achéménides après
539 av. J.-C. Cette période ne voit cependant pas de changements
fondamentaux dans la société et la culture des cités phéniciennes, qui
restent prospères malgré les tributs et les pillages.
La période assyrienne[modifier | modifier le code]
Porteurs de tribut phéniciens, bas-reliefs sur bronze des portes de Balawat, règne de Salmanazar III (r. 858–824 av.
J.-C.). British Museum.
C'est le roi Assurnasirpal II (r. 883–859 av. J.-C.) qui marque le retour
des troupes assyriennes sur le littoral levantin, après avoir remporté plusieurs
victoires en Syrie intérieure.
Il reçoit alors le tribut de Byblos, Sidon et Tyr. Sous son successeur Salmanazar
III (r. 858–824 av. J.-C.), les
royaumes attaqués de Syrie et du Levant montent une coalition pour enrayer
l'expansion assyrienne, qui prend forme en 853 à la bataille de Qarqar, à laquelle
participent les rois de Byblos, Arwad et Arqa. Le coup d'arrêt n'est que temporaire pour le roi assyrien,
qui réussit à nouveau à prélever des tributs sur les cités du Levant dans les
années qui suivent. La prospérité des cités phéniciennes n'est pas brisée par
ces défaites ; au contraire, la pression assyrienne et la nécessité de
payer un tribut régulier pourrait avoir joué un rôle dans l'essor de la
colonisation qui a lieu alors, essentiellement sous l'impulsion du royaume
unissant Tyr et Sidon, qui évite la confrontation
militaire avec l'Assyrie, durant le règne de Pygmalion (fondation de Carthage)58.
Durant la fin du ixe siècle av.
J.-C. et la première moitié du viiie siècle av. J.-C., la
pression de l'Assyrie retombe
en raison de difficultés au centre de ce royaume. L'avènement de Teglath-Phalasar III (r. 745–727 av.
J.-C.) marque le retour des Assyriens avec de nouvelles ambitions :
désormais leurs campagnes ne se soldent plus simplement par la livraison de
tribut, mais aussi par l'annexion progressive des territoires conquis. C'est
le littoral nord de la Phénicie qui passe le premier sous le contrôle
assyrien, étant situé au débouché des routes conduisant les troupes
assyriennes depuis la Syrie vers la mer. Sumur devient la capitale de la
province assyrienne créée à l'occasion ; en raison de sa situation
insulaire et de son importance commerciale, Arwad préserve une relative autonomie. Byblos, alors en
retrait par rapport aux périodes précédentes, n'est pas annexée mais doit
payer un tribut régulier. Tyr et Sidon, alors les deux plus riches cités
phéniciennes, sont dans le même cas mais attirent plus l'attention des rois
assyriens qui cherchent à limiter leur puissance, bien qu'elles n'aient
jusqu'alors pas tenté de s'opposer à leur domination : Sargon II (r. 722–705 av.
J.-C.) reçoit l'allégeance des cités de Chypre dépendant auparavant de
Tyr, Sennachérib (r. 704–682 av.
J.-C.) enlève Sidon aux rois de Tyr et y place un roi à sa solde. Il
n'empêche que celle-ci se révolte sous son successeur Assarhaddon (r. 681–668 av.
J.-C.) qui s'en empare et la pille, puis déporte une partie de sa population
et y place un gouverneur. Tyr se soulève ensuite avec l'appui de l’Égypte, est à son tour défaite, et
son souverain, s'il réussit à préserver son trône, est totalement subordonné
au gouverneur assyrien responsable de la région. Plus grave pour la
prospérité de la cité, ses navires voient leur droit de circulation limité,
étant notamment privés de commercer avec l’Égypte.
L'absence de cohésion entre les cités phéniciennes qui préfèrent
faire allégeance aux Assyriens quand l'une de leurs voisines se soulève
renforce leur impuissance face aux envahisseurs. Mais leur soumission n'est
jamais acquise définitivement, Assurbanipal (r. 668–626 av. J.-C.) devant à son tour mater
plusieurs révoltes en Phénicie59.
La période babylonienne[modifier | modifier le code]
Entre 626 et 609 av. J.-C., l'Assyrie est secouée par une révolte intérieure puis des
campagnes lancées par les rois de Babylone et des Mèdes, qui parviennent à détruire son empire. C'est Babylone qui
récupère les restes de l'empire assyrien, mais son roi Nabuchodonosor II (r. 605–562 av.
J.-C.) doit faire face aux tentatives de l’Égypte de reprendre le contrôle du Levant.
Les cités-états phéniciennes, prises entre les deux royaumes,
choisissent à plusieurs reprises le second contre le premier, sans succès.
Tyr résiste pendant treize années à un siège babylonien, avant de se rendre,
et ses rois sont désormais choisis par ceux de Babylone, ce qui affaiblit
leur autorité interne. Si on suit Flavius Josèphe, entre 564 et 556 av. J.-C. il n'y a plus de rois
dans cette cité, qui est dirigée par un collège de magistrats, les suffètes60.
La période achéménide[modifier | modifier le code]
Détail du sarcophage d'Eshmunazar de Sidon et de son inscription, ve siècle av.
J.-C., musée du Louvre.
En 539 av. J.-C., Babylone tombe face à Cyrus II, fondateur de l'empire perse
achéménide. Tout en étant intégrées dans la satrapie de Transeuphratène dont la
capitale est située à Damas61, les villes de Phénicie
conservent leur propre gouvernement dans le nouvel empire, et peuvent même
tirer avantage de leurs relations avec leurs nouveaux maîtres, d'une manière
générale plus souples que les précédents dans leurs relations avec leurs vassaux.
Elles disposent d'une autonomie relative tant qu'elles apportent leur tribut
et leurs forces navales aux rois perses62.
Quart de shekel de
la cité de Sidon qui était le principal port d'exportation de la pourpre et aussi un port
militaire d'où la présence de la galère au droit. Au revers, le char
triomphal pourrait représenter une procession avec le Roi Achéménide
Plusieurs rois phéniciens ont ainsi pris part aux expéditions
des rois perses, notamment contre l’Égypte et en Grèce durant les Guerres
médiques, auxquelles participent les rois d'Arwad, de Tyr et de Sidon, même s'ils ne purent
triompher de la marine grecque. Sidon en particulier semble avoir tiré profit
de ses bonnes relations avec le pouvoir perse : son roi Eshmunazar (v. r. 475–461 av.
J.-C.) a laissé une inscription sur son sarcophage dans laquelle il rapporte
avoir reçu du pouvoir perse les villes de Dor et de Jaffa ainsi que la plaine de
Sharon. Le commerce phénicien connaît une
nouvelle phase d'expansion, même si désormais les cités coloniales ont pris
en main leur propre destinée et disposent de leurs propres réseaux, que ce
soit à Chypre (Kition, Idalion, Tamassos) ou dans la Méditerranée
occidentale (Carthage, Utique, Cadix)63,64.
Dans la première moitié ive siècle av.
J.-C., les relations avec les rois Perses
deviennent plus tendues, dans un contexte d'affaiblissement de l'influence de
ceux-ci sur leurs provinces. Cette tendance s'accompagne d'une influence
croissante des Grecs en Phénicie, avec Chypre pour relais. C'est à partir de
celle-ci que le roi Évagoras de Salamine (r. 410–374 av. J.-C.) s'empare temporairement
de plusieurs cités phéniciennes en 391 av. J.-C. Les marchands
phéniciens sont alors de plus en plus présents dans le monde grec, et le roi
Straton (Abd-Ashtart) de Sidon (r. 375–362 av. J.-C.) est honoré
à Athènes comme
étant un ami des Grecs. Quelques années après, Sidon se révolte sans succès
sous le règne de son roi Tennès (Tabnit, r. 357–347 av.
J.-C.), et subit une dure répression, se voyant imposer un nouveau souverain65.
La période hellénistique et la conquête romaine[modifier | modifier le code]
Les relations houleuses entre les cités phéniciennes et le
pouvoir perse expliquent sans doute pourquoi celles-ci font pour la plupart
un bon accueil au macédonien Alexandre le Grand quand il arrive dans la région après 333 av.
J.-C. Les Sidoniens s'emparent eux-mêmes de leur roi pro-perse pour le
forcer à se soumettre. Tyr est la seule à embrasser la voie de la résistance, et
doit subir un siège lourd ; Alexandre fait ériger une chaussée reliant
la côte à l'île, et réussit à prendre la ville66,64.
Durant les guerres opposant les Diadoques, les troupes phéniciennes sont mobilisées, notamment en
raison de leur puissance navale. Au début du iiie siècle av.
J.-C., la Phénicie est coupée en deux entre
le royaume séleucide au nord (qui domine Arwad), et le royaume lagide au sud (qui domine Byblos, Beyrouth, Sidon et Tyr). Elles connaissent de grands bouleversements politiques,
puisque les monarques de chacune d'entre elles sont progressivement évincés
pour être remplacés par des institutions civiques similaires à celles des
cités grecques. À la fin du iie siècle, les
cités phéniciennes sont finalement toutes placées sous la coupe des rois
séleucides67.
Bien que les souverains hellénistiques ne fondent sans doute
jamais une colonie grecque en Phénicie (à la différence des régions
voisines), les cités phéniciennes adoptent des aspects de la culture grecque
qui est alors dominante au Proche-Orient. Cela est surtout documenté pour les
élites urbaines, reflétant une volonté de faire partie du monde grec :
l'usage de l'alphabet grec se répand, la religion reprend des aspects grecs,
de même que l'art ; les cités phéniciennes sont les foyers de plusieurs
philosophes ou poètes de langue grecque (Zénon de Sidon, Diodore de Tyr) ; des citoyens des cités phéniciennes participent aux
concours sportifs aux côtés des cités du monde grec tandis que les cités
phéniciennes organisent leurs propres concours dans la plus pure tradition
grecque (dédiés à l'Apollon delphique à Sidon)68. Mais faut-il envisager une véritable « hellénisation » de la
Phénicie ? Il y a certes des emprunts, mais ils ont sans doute débuté
avant la période hellénistique en raison de l'ancienneté des échanges entre monde grec
et phénicien et ne suffisent pas à modifier en profondeur la culture
phénicienne. L'influence grecque semble concerner surtout le cercle des
élites urbaines (qui étaient en contact avec les élites politiques grecques),
tandis qu'elle est limitée sur le site rural d'Oum
el-Amed69.
Au iie siècle av.
J.-C., les guerres civiles qui affectent le
royaume séleucide fournissent aux cités phéniciennes l'opportunité de gagner
en autonomie. C'est dans ce contexte qu'émerge le royaume des Ituréens, dans la Bekaa autour de la ville
de Baalbek, qui
parvient à placer Byblos sous sa coupe, avant d'être annexé par les rois Hasmonéens de Judée.
Les Romains passent alors maîtres du Proche-Orient, et en
64 av. J.-C. les cités de Phénicie sont intégrées dans la province
de Syrie. L'emploi de
l'alphabet phénicien est alors très limité, et il disparaît au début de notre
ère, sans doute en même temps que la langue phénicienne, définitivement
supplantée par le grec et l'araméen. Des noms phéniciens sont encore attestés dans des
inscriptions grecques des ier et iie siècles,
dernières traces de l'usage de la langue phénicienne au Levant70.
Marchands, navigateurs et artisans[modifier | modifier le code]
Durant l'Antiquité, les Phéniciens ont acquis auprès de leurs
voisins une solide réputation de marchands, de navigateurs et d'artisans. Les
deux premiers aspects ressortent en particulier dans les récits des auteurs
grecs et bibliques. Le troisième dans la diffusion et l'influence de l'art
phénicien. Comme toujours, ces activités étaient déjà très développées chez
les « Cananéens » de l'âge du bronze. Leur nouvel essor à l'époque
phénicienne a sans doute à voir avec l'impact des empires (Assyrie, Babylone, Égypte, Perse) sur les cités
phéniciennes : le fructueux commerce phénicien tire en partie profit de
la demande des centres des empires, les navigateurs sont mobilisés pour des
expéditions militaires ou commerciales initiées par les grands rois, tandis
que les artisans phéniciens exportent leurs productions vers les grandes
cités des empires quand ils n'y travaillent pas directement.
De grands navigateurs[modifier | modifier le code]
Restes de l'épave d'un des deux bateaux phéniciens retrouvés dans la baie
de Mazarrón, viie siècle av. J.-C.
Après un premier développement durant l'âge du bronze récent,
la navigation à
longue distance connaît un essor impressionnant durant la première moitié
du ier millénaire, qui aboutit à la mise en réseau progressive des différentes
régions bordières de la mer Méditerranée, espace qui est caractérisé à partir de la période classique
par sa « connectivité » (la possibilité de mettre en contact les
différentes régions bordières), si on suit les propositions de P. Horden et
N. Purcell71.
Les marins phéniciens sont parmi les acteurs majeurs de
l'unification progressive de cet espace, qui aboutit sous l'empire romain. La documentation
sur la navigation phénicienne est cependant peu abondante et difficile
d'accès, et c'est avant tout par les témoignages élogieux de leurs
contemporains qu'on leur connaît cette qualité72. Les représentations de navires phéniciens restent rares, et
les fouilles d'épaves sous-marines sont peu nombreuses et peu indicatives sur
l'aspect des navires. Il est du reste assez difficile d'identifier l'origine
de l'équipage du bateau. Mais l'analyse de la navigation phénicienne peut se
servir des informations sur les autres navigateurs contemporains, en premier
lieu Grecs, qui avaient un niveau technique et des pratiques similaires.
Maquette en terre cuite d'un bateau, ve siècle av.
J.-C., Liban méridional. Musée du
Louvre.
Navire de commerce phénicien, sur un bas-relief du iie siècle av.
J.-C. retrouvé à Sidon. Musée National de Beyrouth.
D'après les représentations et ce que semblent indiquer les
fouilles d'épaves, les navires commerciaux de la période phénicienne avaient
une coque de forme pansue (les Grecs les qualifiaient de gauloi, « ronds »). Ils
avaient un mât unique portant une voile rectangulaire ou carrée. Le
gouvernail consistait en une grande rame à pales asymétriques disposée à
l'arrière du navire, sur son côté gauche. L'équipage montant ce type de
bateau devait consister en une vingtaine d'hommes au maximum73. La taille des navires de
transport devait varier en fonction des besoins en cargaison et en distance à
parcourir ; les bateaux connus par des épaves de l'âge du fer (dont
l'origine n'est pas toujours déterminée) avaient une longueur généralement comprise
entre 8 et 15 mètres, mais les plus gros ont peut-être dépassé la
vingtaine de mètres. Les bateaux retrouvés dans la baie de Mazarrón (viie siècle av. J.-C.) et
à Rochelongue (viie siècle av. J.-C.)
mesuraient ainsi 8 mètres de long et transportaient autour de
2 tonnes de métal, tandis que les deux qui ont coulé au large d'Ashkelon (viiie siècle av. J.-C.)
mesuraient environ 14 mètres de long pour une cargaison d'environ
11 tonnes de vin (ce qui correspond aux données de l'épave grecque de Kyrénia du ive siècle av. J.-C.)74.
La navigation consistait surtout en du cabotage (en suivant les côtes sur de courtes distances), mais
sur certains trajets la navigation en haute mer devait être privilégiée, en
fonction des vents et des courants. Les voyages à longue distance devait
concerner des navires de fort tonnage transportant des cargaisons
diversifiées ; le cabotage sur de courtes distances entre ports voisins
sur de petits navires devait être très important, les cargaisons pouvant
ainsi transiter sur de longues distances en étant transbordées à plusieurs
reprises, le commerce étant alors surtout redistributif75. Différents ports émaillaient
donc les routes pratiquées, et servaient de point de relais, de contact et de
redistribution des produits entre les différentes régions de la Méditerranée.
Les emplacements des comptoirs et colonies phéniciennes étaient donc choisis
en priorité en fonction des qualités maritimes des sites, et aussi de la
facilité à les défendre. Les grandes cités comme Tyr et Sidon disposaient de
deux ports avec de grands bassins. Les installations portuaires de Tyr ont
été étudiées par des équipes d'archéologues, qui y ont distingué plusieurs
éléments qui se retrouvent sur d'autres ports phéniciens : des petits
mouillages naturels, peu profonds, réservés aux bateaux de gabarit
limité ; des récifs situés en mer (jusqu'à 2 km du rivage)
servant de point d'ancrage pour les bateaux plus grands là où il n'y avait
pas de port de taille suffisante ; des ports artificiels, comprenant des
jetées s'étendant sur plus d'une centaine de mètres sur les ports les plus
longs (340 m pour celle de Tyr construite à l'époque hellénistique)
et donc border des eaux suffisamment profondes pour que des grands navires
puissent s'y amarrer ; des rampes de mise en eau tirant parti de la
présence de plages rocheuses pentues, servant sans doute plutôt pour la
construction navale ou pour mettre hors d'eau des bateaux qu'il fallait
réparer76.
Routes commerciales des Phéniciens.
Deux grandes routes ont pu être suivies par les navires
phéniciens traversant la Méditerranée d'est en ouest : une suivant les
côtes du sud par cabotage, et, sans doute plus couramment, une autre
remontant depuis la Phénicie vers Chypre puis les côtes de l'Asie Mineure,
avant de rejoindre depuis Rhodes la mer Ionienne pour passer entre Malte et la Sicile et accéder au
Bassin occidental. Ce trajet est encore plus aisé au retour en raison de la
présence de courants favorables en saison estivale. Pour aller plus loin vers
l'ouest, le navire devait rejoindre les côtes de Sardaigne puis les Baléares
avant de rejoindre l'Andalousie puis le détroit de Gibraltar77.
Navire de guerre phénicien sur un fragment de bas-relief de Ninive (Assyrie), viie siècle av. J.-C., British Museum.
Les exploits de certains marins Phéniciens ont été rapportés
dans l'Antiquité, mais il est difficile de dire quel crédit accorder à
certains de ces récits de grands trajets. Hérodote rapporte ainsi la circumnavigation
autour de l'Afrique accomplie par des marins Phéniciens à la demande du pharaon Néchao II, qui dura trois ans car les marins s'arrêtaient à chaque
basse saison, notamment pour faire des cultures servant à leur
approvisionnement. Le même auteur relate le périple du Carthaginois Hannon qui aurait été mandaté
par sa cité pour aller explorer de nouvelles routes commerciales le long de
la côte de l'Afrique occidentale,
en y fondant des colonies, et pourrait être allé jusqu'au Sénégal voire au Cameroun. Des monnaies
carthaginoises ont été découvertes aux Açores, où des gens de cette cité ont donc pu se rendre. Un autre de
ses concitoyens, Himilcon, aurait quant à lui voyagé jusqu'en Bretagne et aux îles Cassitérides (dans les
îles britanniques)78.
Les Phéniciens ont également mis à profit leurs talents de
marins pour les affaires militaires. Les rois assyriens, perses et grecs les ont mobilisé pour renforcer leurs flottes de guerre.
Les galères de combat phéniciennes apparaissent dans les représentations
assyriennes de la fin du viiie siècle av.
J.-C. et du début du viie siècle av. J.-C., qui
montrent également des bateaux ronds de commerce reconvertis en bateaux
militaires. Les galères sont ensuite très présentes dans les monnaies des
cités phéniciennes à partir du ve siècle av.
J.-C. Ces bateaux sont propulsés par des
rameurs disposés au pont inférieur, mais aussi par des voiles ; les mâts
étaient généralement rangés pendant les combats pour faciliter les manœuvres
de proximité, plus faciles si on se limitait à la propulsion par les rameurs.
La proue de ces navires se terminait par un éperon en bronze, qui servait pour enfoncer les navires
ennemis. À partir de l'époque perse si ce n'est avant, il s'agit de trirèmes, navires à trois rangées
de rameurs, puis un peu plus tard de quadrirèmes ; les Carthaginois développent ensuite les quinquérèmes79.
Des réseaux commerciaux très étendus[modifier | modifier le code]
Poids carré en plomb,
marqué de symboles divins dont celui de Tanit, Arwad ve – iie siècle av. J.-C., musée
du Louvre.
Les Phéniciens furent très actifs dans les échanges
internationaux, reprenant en cela les réseaux mis en place par leurs
prédécesseurs du bronze récent et les étendant. Ils disposent d'une situation
privilégiée, leur permettant de mettre en contact la Mésopotamie, la Syrie intérieure, l'Anatolie d'un côté, et de l'autre les pays situés au bord de
la mer Méditerranée, en premier lieu l’Égypte. Le rôle majeur des marchands phéniciens (et puniques) à
cette époque ressort en particulier des textes bibliques (surtout la prophétie d’Ézéchiel80) et chez les auteurs Grecs (Homère, Hérodote)81.
Les fouilles archéologiques fournissent des informations complémentaires,
mais les échanges de denrées périssables (vin, huile, tissus) sont seulement
identifiables par leurs contenants (amphores, jarres, etc.), tandis que les
métaux ont souvent été remployés82.
Les aspects les mieux connus du commerce à longue distance des
Phéniciens sont la nature et la provenance des produits échangés, les mieux
documentés par les textes et l'archéologie :
Une
place majeure est occupée par les métaux. Le cuivre assure la prospérité de Chypre depuis plusieurs millénaires, et se trouve dans deux
autres régions majeures d'implantation des marchands phéniciens, la Sardaigne et le sud de
la péninsule Ibérique, où sont également extraits de l'argent, du plomb et du fer. Il s'agit sans doute du moteur essentiel de l'expansion
phénicienne en direction du Bassin occidental, tellement la demande pour ces
métaux est forte au Moyen-Orient. Les métaux bruts circulent en général sous
la forme de lingots, courants dans les épaves de cette période.
Parmi
les denrées alimentaires, le vin et l'huile semblent avoir occupé une place importante, car ils se
conservaient mieux que les autres denrées et avaient une valeur plus
importante justifiant leur transport sur de longues distances. De nombreuses
amphores ont été retrouvées sur les sites archéologiques, y compris dans les
épaves (notamment celles d'Ascalon).
Les
marchands phéniciens pratiquaient enfin le commerce des esclaves, notamment
via le circuit transsaharien qui apparaît alors84.
Les produits échangés sur de longue distance étaient donc en
général des produits d'une valeur élevée justifiant un transport coûteux. Le
développement du commerce maritime présente d'indéniables avantages par
rapport au commerce terrestre, le transport de cargaisons lourdes étant moins
complexe et coûteux sur mer que sur terre. Les bateaux devaient généralement
transporter des produits divers : la cargaison de l'épave de Bajo de la
Campana (viiie siècle, Espagne), témoignant du développement d'un
commerce régional de cabotage sur la côte est de la péninsule Ibérique,
comprenait ainsi de l'ivoire d'éléphant nord-africain, de l'étain et du plomb ibériques, de l'ambre, des amphores de la région
de la Malaga, du
mobilier en bronze85.
Par ailleurs, les témoignages de l'époque indiquent que les
réseaux des échanges phéniciens ne s'étendaient pas seulement le long des
rivages méditerranéens mais aussi vers l'intérieur du Moyen-Orient, et
avaient donc un volet terrestre important. Encore à la période hellénistique, les réseaux
des marchands phéniciens sont très importants, et connaissent un nouvel essor
avec la constitution d'espaces économiques à l'intérieur des royaumes
grecs ; les marchands phéniciens se font ainsi plus présents dans le
monde égéen, tandis que les monnaies d'Arwad se retrouvent sur un espace allant de la péninsule Ibérique à l'ouest
jusqu'à la Bactriane à l'est86.
L'organisation du commerce phénicien reste mal connue, en
l'absence de témoignages provenant du milieu des marchands. Il est probable
que les marchands recouraient à des prêts à la
grosse aventure et des associations
commerciales (ḥbr)
comme le faisaient leurs prédécesseurs d'Ugarit au bronze récent et comme il s'en retrouve dans le monde
grec antique. Leurs réseaux s'appuyaient sur des sortes de succursales
implantées dans les comptoirs, où la présence de quartiers marchands semble
attestée87. Les
installations commerciales phéniciennes en pays étranger s'appuient également
sur les sanctuaires qui servent de point d'ancrage aux expatriés ; les
associations cultuelles (marzeah) jouent ainsi un rôle important dans la cohésion du groupe
des marchands phéniciens expatriés, comme cela se voit dans plusieurs cités
grecques à l'époque hellénistique88.
L'évolution majeure qui semble se produire dans les cités
phéniciennes est la perte d'influence progressive du pouvoir royal dans les
échanges commerciaux, les marchands gagnant une autonomie importante alors
qu'auparavant ils jouaient souvent un rôle de serviteur du roi, qui
organisait des expéditions commerciales majeures, comme dans le cas d'Hiram
à Tyr89. Mais ils n'ont sans doute pas perdu totalement cette
fonction, et sont également amenés à servir d'informateurs pour leur roi,
leur métier reposant sur la collecte d'informations mobilisables par le
pouvoir. Les auteurs grecs Homère et Hérodote donnent une image peu flatteuse de ces marchands sans
attaches et ayant peu de vertus, souvent présentés comme roublards,
trompeurs, voire à la limite de la briganderie et de la piraterie, les
sources antiques étant de toute manière rarement bien disposées envers les
marchands. Hérodote rapporte aussi une forme d'échange originale pratiquée
par les marchands carthaginois sur la rive atlantique de l'Afrique, un troc sans paroles ou commerce silencieux : chacune
des deux parties pose ce qu'il souhaite échanger sur une plage alors que
l'autre est éloignée, et ne prend la contrepartie que si elle la juge
équivalente à son propre apport90.
Les moyens de paiement évoluent durant le ier millénaire. Durant les
premiers siècles, il s'agit surtout d'argent pesé, circulant sous diverses
formes, comme des lingots ou des anneaux de poids standardisé. À partir
du ve siècle, les cités phéniciennes commencent à frapper des
pièces de monnaie, à l'imitation des cités d'Asie
mineure et de Grèce91.
Un artisanat de qualité diversifié[modifier | modifier le code]
Aux côtés de ceux des navigateurs et des marchands, les
accomplissements des artisans (désignés par le terme générique ḥrš) phéniciens ont eu une
grande reconnaissance dans le monde antique. De nombreux auteurs grecs
vantent la grande compétence et l'ingéniosité des artisans phéniciens et
puniques, plusieurs passages bibliques également, tandis que les
souverains assyriens demandent comme tribut diverses productions artisanales
spécifiques de l'artisanat phénicien, comme les tissus teints en pourpre et
les objets en ivoire92.
Ce milieu est cependant moins bien connu que les deux autres, en
raison de leur présence élusive dans la documentation : les réalisations
les plus prestigieuses des artisans sont bien connues, mais les sources sur
le processus économique ayant conduit à leur réalisation est quasiment
inconnu, et ne peut être reconstitué convenablement que par la comparaison
avec la situation de l'artisanat dans les civilisations voisines. Il est en
tout cas manifeste que l'artisanat constituait une activité majeure dans les
cités phéniciennes, qui étaient d'importants centres de transformation des
matières premières qu'elles importaient des régions voisines.
Jarre au décor phénicien (musée des Pays de la Bible, Israël).
Les artisans étaient probablement regroupés dans des quartiers
spécifiques suivant leurs spécialités, notamment parce qu'il fallait
concentrer les nuisances liées à leur activité (odeur du murex, feux des céramistes et
forgerons) ; un tel quartier artisanal a été identifié à Tyr, avec des
ateliers de potiers et de forgerons53. Les activités artisanales faisaient l'objet d'une forte
demande de la part des élites, le palais et le temple, mais aussi des
marchands qui les exportaient, et également des puissances extérieures
(notamment l'Assyrie et
la Perse) qui
prisaient les objets de luxe phéniciens. Pour autant, il ne faut pas
forcément imaginer que les artisans phéniciens aient tous été des esclaves ou
du moins des dépendants économiques du milieu des élites ; au contraire,
il est souvent avancé qu'ils aient connu une émancipation depuis la fin de
l'âge du bronze, à laquelle aurait succédé une période de croissance du
secteur « privé » de l'économie. Du reste, l'artisanat itinérant
est une composante essentielle de ce secteur durant l'Antiquité, facilitant
l'autonomie des artisans. Certains artisans phéniciens étaient employés à
l'extérieur, comme ceux que Hiram de Tyr mandate à Jérusalem pour aider à la construction du Temple de Salomon, et il y en a
également eu dans les capitales mésopotamiennes ou dans le monde égéen. Ils
ont également joué un rôle important dans les colonies d'Occident et y ont
exporté les savoirs et techniques phéniciens. Ce milieu artisanal spécialisé
nécessitait un apprentissage long, sans doute généralement transmis de père
en fils, ainsi qu'une bonne connaissance du milieu culturel de l'époque et un
certain cosmopolitisme, les produits de luxe phéniciens témoignant d'un
mélange d'influences de divers horizons. Une majeure partie des artisans
devait cependant se consacrer à la réalisation de produits de la vie courante
destinés à toutes les couches sociales de la population, mais ils nous
échappent en grande partie93.
Les activités pratiquées par les artisans phéniciens étaient
très variées94. Les
céramiques étaient les objets les plus courants, et sans doute la principale
activité de transformation non alimentaire ; on connaît en particulier
les amphores servant
au transport de l'huile et du vin. Le travail de la pierre et du bois étaient
également essentiels pour les réalisations courantes.
Coquilles de Bolinus brandaris, l'un des deux murex utilisés dans l'Antiquité pour obtenir de la
teinture pourpre.
Les métallurgies du cuivre, du bronze et du fer occupaient une place importante, notamment pour la
réalisation d'objets de la vie courante. Un quartier de métallurgistes
travaillant le fer et le cuivre des vie – iiie siècles av. J.-C. a été mis au jour à Byrsa (Carthage), disposant notamment de
fours équipés de tuyères reliant leur foyer à des soufflets de façon à
obtenir une température avoisinant les 1 000 °C95. Les orfèvres réalisaient divers
types de bijoux, d'ornements et de vaisselle en or ou en bronze et autres alliages,
parfois en y mêlant des pierres précieuses (cornaline, lapis-lazuli). L'industrie du verre était une caractéristique importante de l'artisanat
phénicien, le travail des matières vitreuses s'étant développé depuis l'âge
du bronze en Syrie et
au Levant, d'autant plus que le silicate de
calcium servant à la réalisation de la pâte de verre est abondant
dans les sables des plages du Liban. La dernière activité artisanale caractéristique de
l'artisanat phénicien est celle de la pourpre, teinture obtenue à partir du murex, mollusque abondant dans le Bassin méditerranéen ; de
nombreuses nuances pouvaient être obtenues pour teindre des tissus de
qualité, en lin ou en laine96. Un lieu de production de teinture du viie siècle av. J.-C. a
été mis au jour à Tel Shiqmonah, alors que le site était apparemment sous contrôle phénicien97.
Enfin, il faut également prendre en compte les activités de
transformation des produits agricoles, en premier lieu le pressage des olives pour obtenir de l'huile et la vinification des grappes
de raisin,
activités majeures de la Méditerranée antique mais mal documentées en
Phénicie : une huilerie d'époque hellénistique a été fouillée à Oum
el-Amed98, un espace
de pressage du raisin à Tell el-Burak pour la phase antérieure99. Les produits de la pêche à
destination alimentaire étaient également transformés
artisanalement : salaisons, production de garum (très courante en Occident)100.
L'expansion phénicienne en Méditerranée[modifier | modifier le code]
Origines et traits généraux[modifier | modifier le code]
L'expansion phénicienne en mer
Méditerranée qui aboutit au processus de
colonisation est indissociable de leurs entreprises commerciales, qui en sont
manifestement à l'origine101 et ont dû précéder de quelques décennies les
implantations. Il est moins évident (mais possible) que le manque de terres
et une croissance démographique en Phénicie aient également incité à
l'émigration (comme cela est souvent avancé dans le cas de la colonisation grecque). Derrière
cela se pose la question de savoir dans quelle mesure il s'agit d'un
phénomène de « colonisation » (donc avec une volonté d'appropriation territoriale)
ou bien s'il a un caractère avant tout commercial. Il semblerait que, si les
motivations commerciales ont bien primé dans les premiers temps de
l'expansion phénicienne vers l'ouest, dans un second temps les implantations
(ou certaines d'entre elles), en impliquant plus de migrants et en ayant une
influence plus forte sur les sociétés locales, prennent un caractère
« colonial »102. Plus récemment l'usage du terme « colonisation » a
été mis en cause, au profit d'autres termes comme « diaspora ». La compréhension
du phénomène a évolué avec une prise en compte plus fine de l'impact et de la
réception de la venue des Phéniciens dans leurs régions d'implantation, et du
constat que les traits phéniciens n'apparaissent souvent sur les sites que
graduellement. Ainsi le caractère urbain des fondations n'apparaît pas
d'emblée comme on l'attendrait s'il s'agissait de transposer le modèle
oriental dans la terre d'arrivée, mais se constitue généralement
progressivement103.
Cette expansion repose sur les réseaux commerciaux existant à
l'âge du bronze récent et couvrant au moins une large partie du Bassin
oriental. Avec l'effondrement dans le courant du xiie siècle av.
J.-C. de la plupart des acteurs importants
de ces échanges (Égyptiens, Mycéniens, Ugarit), les cités de Phénicie disposent du champ libre pour leurs
propres entreprises commerciales à longue distance. En raison du retrait
relatif de Byblos et
de Sidon dans
les dernières décennies du iie millénaire, c'est Tyr qui constitue l'acteur majeur de cette expansion. En
l'absence de concurrence, elle reprend peu à peu à son compte les réseaux
existants et les repousse de plus en plus loin : son influence se repère
surtout à Chypre,
mais il semble bien que ses circuits commerciaux soient actif en direction du
monde égéen (Crète et Eubée) et également du Bassin
occidental (Sardaigne et
même péninsule Ibérique) dès le xe siècle av.
J.-C.104. Dans un
second temps, Tyr se forge un véritable empire maritime visant à contrôler
les circuits commerciaux méditerranéens, avec la fondation de ses premières
colonies : Cition à Chypre vers 850 av. J.-C., Myriandros en Cilicie, puis dans le Bassin
occidental les sites majeurs de Carthage, Utique et Gadir (Cadix) dans les dernières années du ixe siècle av. J.-C., et
non pas autour de 1100 av. J.-C. comme le prétendent certaines
traditions antiques sur les deux derniers105. Ces fondations ont généré des mythes rapportés par les
auteurs Grecs et Latins, en particulier celui de Didon de Carthage, qui
semblent reposer sur des récits phéniciens antérieurs, participant à la
glorification de l'expansion phénicienne, qui s'impose dès cette période
comme un phénomène majeur de l'histoire de la Méditerranée antique106. Il faut peut-être considérer
à la suite du récit de fondation carthaginois que cette cité serait une
spécificité dans la colonisation phénicienne, étant une création
aristocratique pensée comme une grande ville nouvelle dès sa fondation et non
une implantation à but commercial107.
Après les premiers succès de cette expérience, de nouvelles
colonies sont fondées au siècle suivant : Motyé, Solonte et Palerme en Sicile, à Malte, Sulcis, Tharros et Nora en Sardaigne, peut-être Ibiza sur les îles Baléares, Almuñecar, Toscanos, Cerro del Vilar, etc. en Andalousie, puis au-delà du détroit de Gibraltar à
Alcacer do Sal au Portugal108. La géographie de ces
implantations reflète clairement la volonté commerciale qui est à l'origine
de leur fondation, puisqu'elles se situent à proximité de gisements
métallurgiques importants (les minerais extraits étant par suite destinés aux
artisans phéniciens ou à d'autres régions) ou sur les routes maritimes qui y
conduisent. Sans doute conçues dans une certaine mesure comme des répliques
des cités de Phénicie, elles sont situées sur des sites côtiers disposant
d'un port bien abrité, sur des petites îles ou des promontoires rocheux. Le
fait que ce second mouvement d'expansion commerciale et coloniale paraisse
coïncider avec les campagnes assyriennes contre les cités de Phénicie a
incité à chercher des liens entre ces deux phénomènes : certains
migrants pourraient être partis dans des colonies pour échapper à la tutelle
assyrienne et au tribut qu'elle imposait, mais la création de cet empire a
également pu créer une demande nouvelle pour les produits importés (pour le
tribut ou le commerce courant) et stimulé le commerce méditerranéen109. Mais ces liens restent
incertains.
Au viie siècle av.
J.-C., les implantations d'Occident connaissent
une croissance importante et acquièrent une grande influence régionale, et
entreprennent à leur tour de fonder leurs propres colonies ; cet essor
profite en premier lieu à Carthage, qui cherche à contrôler les établissements phéniciens du
bassin occidental, ce qui marque le début de son entreprise impériale110 l'entraînant vers une
confrontation avec les Grecs puis les Romains (là où l'approche
traditionnelle des Phéniciens était plus coopérative), alors que ses
navigateurs poussent leurs entreprises plus loin vers l'ouest sur les côtes
atlantiques d'Afrique et
d'Europe78. Elle ne relâche cependant pas ses liens avec ses racines
phéniciennes, les contacts avec les cités de Phénicie (avant tout Tyr) étant permanents pour le
reste de son histoire111.
Les liens entre l'expansion phénicienne et la colonisation grecque vers
l'ouest qui lui emboîte rapidement le pas posent plusieurs questions. Leur
coïncidence a incité à envisager l'histoire de la Méditerranée de cette
période dans une approche plus globalisante de cet espace comme le font les
spécialistes des périodes grecques archaïque et classique71 et de relier les
phénomènes aboutissant à tisser des réseaux et à mieux connecter les
différentes régions de la Méditerranée, ce qui entraîne des changements
divers et potentiellement importants (la « mediterraneanization » de I. Morris)112,113.
La mise en relation des Bassins orientaux et occidentaux participe notamment
au développement de différentes cultures autochtones de l'Occident qui ont
largement profité de leur ouverture à l'Orient (Étrurie, Tartessos) aux côtés d'implantations coloniales qui sont des sortes
d'excroissances du monde oriental, se dotant progressivement des traits
originaux. Les rapports entre Phéniciens puis Puniques et les Grecs ont fait
l'objet de discussions, et leur relation a souvent été vue comme une sorte de
compétition entre les deux101. L'expansion de Carthage en Méditerranée occidentale comprend
manifestement une stratégie visant à bloquer l'influence des Grecs (Phocéens, puis Syracuse) en direction de la
Sardaigne et de la péninsule Ibérique, entraînant de nombreux conflits114. Mais d'un autre côté les
échanges entre les deux ensembles sont permanents sur toute la période ;
les relations ont probablement été pacifiques dès les débuts des deux
mouvements coloniaux comme l'attestent les implantations eubéennes d'Italie (Pythécusses, Cumes) où les Phéniciens sont
présents, tandis que par la suite l'apparition de la rivalité entre Carthage
et Syracuse en Sicile n'y a jamais arrêté les échanges pacifiques.
Géographie des implantations phéniciennes[modifier | modifier le code]
Égypte[modifier | modifier le code]
L’Égypte est un cas particulier dans la présence phénicienne
autour du Bassin méditerranéen. Le Levant et le pays du Nil ont des contacts
poussés depuis les débuts de l'âge du bronze, passant notamment par Byblos,
un des principaux ports d'entrée de l'influence phénicienne en pays cananéen.
À l'époque du Nouvel empire, les cités de Phénicie ont été placées sous la
coupe de l’Égypte, et même après l'effondrement de cette emprise les
relations se sont poursuivies malgré les difficultés du temps (comme l'atteste
l'Histoire d'Ounamon). Au
début de l'époque phénicienne aux xe – ixe siècles av. J.-C., l'influence égyptienne en
Phénicie reste marquée, comme cela se voit par la présence de nombreux objets
égyptianisants sur les sites phéniciens et les implantations coloniales. Il
s'agit au moins de liens commerciaux. C'est sous la dynastie saïte (664–525 av.
J.-C.) que les rapports entre les deux régions sont les plus intenses. La
présence de marchands phéniciens se développe dans l'emporion de Naucratis, aux côtés de leurs
homologues grecs. Des mercenaires phéniciens sont également employés par les
pharaons de la période, qui tentent sans succès d'établir une hégémonie
égyptienne sur le Levant. Selon Hérodote, Néchao II aurait mobilisé des navigateurs phéniciens pour
accomplir la circumnavigation de l'Afrique. Le même auteur évoque une
présence phénicienne importante à Memphis, où il y a un campement réservé aux mercenaires Tyriens et le
culte d'une « Aphrodite étrangère », sans doute Astarté. Des
graffitis phéniciens retrouvés à Saqqara attestent de cette présence. La présence phénicienne en
Égypte se retrouve plus à l'intérieur des terres, jusqu'à Éléphantine. À l'époque ptolémaïque, les
descendants de ces Phéniciens implantés en Égypte sont mentionnés comme des
« Phénicio-Égyptiens » (Phoinikaigyptioi). Les contacts prolongés entre l’Égypte et les cités de
Phénicie donc une place particulière dans l'expansion phénicienne : ici
il n'y a pas de colonisation mais tout de même des implantations non
négligeables au service des pouvoirs étrangers, des échanges commerciaux et
culturels constants, la Phénicie étant ici dans une situation de récepteur
comme l'atteste la forte influence de l'art égyptien sur l'art phénicien115.
Chypre[modifier | modifier le code]
Chapiteau sculpté provenant de Larnaca (Kition) portant une représentation de la déesse Hathor, vie siècle av. J.-C., musée du Louvre.
Durant le bronze récent, Chypre (Alashiya) entretient des relations poussées avec le Levant, servant
notamment de relais avec le monde égéen. Son importance vient de ses mines
de cuivre, métal
qu'elle exporte massivement vers l’Égypte et le Proche-Orient. Ces relations ne sont pas perturbées par la crise de la fin
de l'âge du bronze, les céramiques phéniciennes étant abondantes dans les
sépultures chypriotes du début de l'âge du fer, notamment au site de
Kouklia-Palaepahos, qui pourrait être le plus ancien comptoir phénicien
outre-mer connu116. À
partir du milieu ixe siècle av. J.-C. l'île
fait assurément l'objet d'installations phéniciennes, tout en connaissant
aussi une émigration grecque. C'est sans doute vers cette période qu'est
fondée Kition,
colonie d'origine tyrienne, appelée à être la capitale du plus important royaume de
l'île durant les siècles suivants. Deux autres sites importants présentant
les traits d'une fondation phénicienne sont Amathonte et Idalion, mais de nombreux sites ont livré des objets d'origine ou
d'inspiration phénicienne, notamment des céramiques, y compris les cités
grecques de l'île, dont la plus importante est Salamine. Politiquement, l'île est
caractérisée par son éclatement entre plusieurs royaumes. Une culture mixte
est née de la rencontre entre les traditions chypriotes et celles de
Phénicie : elle est caractérisée comme « chypro-phénicienne »,
qui est surtout connue par des objets d'art présentant une forte influence
phénicienne, auxquelles se joignent au fil du temps des inspirations
assyriennes, égyptiennes puis grecques, que les artisans adaptent aux
habitudes locales. Les divinités phéniciennes sont adorées sur plusieurs
sites, et les inscriptions en alphabet
phénicien constituent le corpus régional le
plus important connu de cette écriture. Cette culture s'épanouit
jusqu'au iiie siècle av.
J.-C., et laissant définitivement la place à l'hellénisation après la
destruction de Kition par Ptolémée Ier en
312 av. J.-C.117.
Monde égéen[modifier | modifier le code]
Stèle funéraire en marbre, trouvée dans les jardins de l'Académie à Athènes. Inscription d'un Phénicien originaire de Kition en phénicien
et grec. Vers 350–300 av. J.-C. Musée
du Louvre.
Bouclier en bronze au décor de type assyrien, v. viie siècle,
retrouvé dans une grotte du sanctuaire du mont
Ida en Crète, témoignage de l'import d'objets orientaux dans le monde
égéen archaïque. Musée archéologique
d'Héraklion.
Le Proche-Orient a des contacts réguliers avec le monde égéen
depuis l'âge du bronze récent au moins, durant la période de la civilisation mycénienne. Ces
contacts se poursuivent et se renforcent durant l'âge du fer : au xe siècle av. J.-C., de la
céramique protogéométrique se retrouve au Levant, notamment à Tyr, et de la
céramique phénicienne se retrouve en Eubée. La période voit le développement d'un axe commercial entre
les deux, passant par les implantations chypriotes de Tyr, et aussi la Crète où l'influence
levantine est visible à Kommos, où un temple d'inspiration phénicienne est érigé vers 800
av. J.-C., indiquant une solide implantation de marchands venus de cette
région118.
Ces contacts progressent durant l'époque
archaïque qui commence au début du viiie siècle av. J.-C., et se
voient notamment dans l'apparition de l'alphabet grec inspiré de celui des
Phéniciens, et un art orientalisant fortement inspiré des traditions
proche-orientales. Les principaux témoignages de cela sont les nombreux
objets en provenance de l'Orient retrouvés sur les sites grecs de ces
périodes (vaisselle en métal, sceaux, bijoux avant tout, aussi des
céramiques), surtout dans les trésors des sanctuaires égéens (Samos, mont Ida). Homère puis Hérodote
évoquent la présence de marchands phéniciens dans le monde égéen archaïque,
venus vendre des produits, surtout des tissus, et acheter des métaux extraits
à Thasos et
au mont Pangée.
Des colonies phéniciennes ont peut-être existé dans cette région, mais aucune
n'a été mise au jour par l'archéologie. Quelques rares inscriptions attestent
également de la présence de Phéniciens. La présence phénicienne en mer Égée semble surtout se
développer à la fin de l'époque classique et à l'époque hellénistique, à partir du ive siècle av.
J.-C. : les témoignages épigraphiques et
littéraires sur la présence de communautés phéniciennes en Grèce sont alors
plus abondants. Il s'agit là encore de marchands pour la plupart, mais des
artisans sont aussi attestés. Bien que connaissant un processus
d'acculturation (leurs inscriptions emploient de plus en plus l'alphabet
grec, les mariages mixtes sont courants), ils préservent leur identité
phénicienne en constituant des associations cultuelles pratiquant des
banquets (les marzeah) et gardent toujours un lien avec la cité de leurs ancêtres119,120,121.
Carthage et l'Afrique du Nord[modifier | modifier le code]
Articles détaillés : Civilisation carthaginoise et Histoire de Carthage.
C'est sans doute vers la fin du ixe siècle av.
J.-C. ou le début du viiie siècle av. J.-C. qu'il
faut situer la fondation des colonies phéniciennes d'Afrique du Nord, même si
certaines traditions font remonter leur origine jusqu'aux alentours de
1100 av. J.-C. C'est au nord de l'actuelle Tunisie, sur le golfe de Tunis, que sont fondées
vers cette époque deux cités phéniciennes majeures : Utique et Carthage (Qart Hadašt, la « Ville
Neuve »). Au Maroc, la fondation la plus ancienne semble être Lixus, sur la côte atlantique. Par
la suite, d'autres sites sont créés au voisinage des plus anciennes
colonies : la tradition littéraire rapporte que des sites comme Hippone (Algérie), Accola et Hadrumète (Tunisie) et Leptis (Libye) auraient été fondés après
Carthage, mais cela n'a pu être prouvé par l'archéologie. Au Maroc, les
Phéniciens s'installent sur plusieurs sites de la côte atlantique, notamment
à Chellah et
sur l'archipel de Mogador (Essaouira) qui est le site phénicien le plus méridional
qui soit connu, localisé à proximité de mines de fer ; sur la côte
méditerranéenne, les Phéniciens sont sans doute installés à l'actuelle Melilla, Ceuta, l'oued Laoud, etc122.
Carthage et les territoires sous son influence politique et commerciale
vers 265 av. J.-C.,
avant le début des guerres puniques.
Carthage connaît le destin le plus remarquable parmi tous les
rejetons occidentaux de la civilisation phénicienne. Dès le viie siècle av. J.-C., elle
commence une expansion qui l'amène à établir son hégémonie sur les autres
cités phéniciennes de la Méditerranée occidentale, au moment même où la
tutelle des cités de Phénicie ne peut plus s'exercer en raison de leur
éloignement et de leurs défaites face aux empires orientaux, tandis que les
relations avec les nouvelles colonies grecques de la région (Massalia, Alalia, Syracuse), qui étaient avant leurs
comptoirs, deviennent parfois conflictuelles. Des nouvelles cités
apparaissent en Tunisie et sur le littoral de l'Afrique du Nord, fondées par
les Carthaginois, et apparaît alors la culture « punique » mêlant
éléments phéniciens au fonds culturel autochtone. Les cités phéniciennes
de Sicile,
de Sardaigne puis
de l'est de la péninsule Ibérique passent sous la tutelle de Carthage dans le courant
du vie siècle av.
J.-C. et rentrent alors sous l'influence
culturelle punique. Des conflits contre les cités grecques, en particulier
Syracuse, se produisent à plusieurs reprises dans le courant des ve et ive siècles av.
J.-C.. Alors que le dernier affrontement avait vu Carthage prendre l'avantage
et établir son hégémonie sur la Méditerranée occidentale (mais jamais un
véritable « empire » avec une domination politique directe), elle
entre en rivalité à partir de 265 av. J.-C. avec la cité de Rome, qui avait été auparavant son
alliée contre Pyrrhus, roi d'Epire. Les trois conflits qui opposent les deux
cités, les « guerres puniques » des historiens romains, se soldent par la défaite et
la destruction de Carthage123. Mais celle-ci est reconstruite par la suite comme colonie
romaine, et l'empreinte de l'héritage phénicien et punique reste forte dans
l'Afrique romaine, où
des traces de la langue punique, héritières du phénicien, sont encore
attestées aux iiie et ive siècles apr. J.-C.124.
Sicile, Malte, Sardaigne et péninsule Italique[modifier | modifier le code]
La Sicile est située à la charnière entre la Méditerranée
orientale et la Méditerranée occidentale, ce qui en fait un lieu
d'implantation essentiel sur les routes maritimes empruntées par les
navigateurs antiques. C'est vers la fin du viiie siècle av.
J.-C. que les Phéniciens semblent avoir
fondé sur la côte occidentale de l'île trois colonies : Panormy,
l'actuelle Palerme, Solonte et Motyé, une île
de 45 hectares située face à Marsala. Les sites des deux premières étant encore habités de nos
jours, seule la troisième a pu faire l'objet de fouilles importantes, qui ont
révélé des quartiers commerciaux, artisanaux, résidentiels, des sanctuaires
et de nombreuses tombes. Jusqu'à présent, il n'y a pas de traces de
fondations phéniciennes sur la côte orientale de la Sicile, alors que
Thucydide rapporte que ce peuple y était implanté avant de laisser la place
aux colonies grecques (Syracuse, Messine, etc.). Les cités phéniciennes de l'île passent sous le
contrôle de Carthage au vie siècle av.
J.-C. qui rentre ensuite dans une longue
rivalité face à Syracuse et ses alliés. Mais les relations entre
Phéniciens/Puniques et Grecs en Sicile semblent avoir été essentiellement de
nature pacifique, et des échanges commerciaux et culturels ont eu lieu, comme
l'attestent les traits grecs de certaines constructions et œuvres d'art
exhumées sur des sites phéniciens (la statue de l'« éphèbe de
Motyé »)125.
Tout comme la Sicile, l'île de Malte a une position sur les routes maritimes qui a incité les
Phéniciens à s'y installer vers la fin du viiie siècle av.
J.-C., sans doute au centre de l'île autour des
villes de Mdina et Rabat, qui n'ont pu être
fouillées, mais dont les environs ont livré plusieurs nécropoles
phéniciennes. La baie de Marsaxlokk a également connu une occupation phénicienne, et devait
constituer le port principal de Malte à cette période ; le vieux temple
mégalithique de Tas-Silġ qui la surplombe y est réaménagé pour en faire un temple
à la déesse Astarté. Des sites d'époque phénicienne ont été mis au jour sur l'île
de Gozo,
notamment à Ras il-Wardija126.
La Sardaigne fait
l'objet d'implantations phéniciennes dès le ixe siècle av.
J.-C., notamment dans le village mis au jour
à Sant'Imbenia.
Il s'agit alors d'une installation limitée dans un site peuplé surtout
d'autochtones, destinée à obtenir les minerais extraits sur l'île (cuivre, argent, étain). Au viiie siècle av. J.-C., les
premières colonies phéniciennes y sont fondées : Sulcis sur l'île de Sant'Antioco, Monte Sirai, Othoca puis Tharros et Nora. La colonisation se poursuit
au siècle suivant avec de nouvelles installation, apparemment sans créer de
heurts avec la population indigène : les nouveaux sites sont situés sur
la côte en des endroits permettant d'édifier des ports faciles d'accès et
donc à l'écart des sites autochtones, et les Phéniciens ne cherchent pas à
prendre le contrôle des mines, se contentant de leur commercialisation. À
partir du vie siècle av.
J.-C., la situation change avec la conquête
militaire de l'île par Carthage puis une nouvelle vague d'immigration, depuis l'Afrique
du Nord. Cela se traduit par une évolution culturelle de l'île, qui devient
« sardo-punique », ce qui se voit notamment dans le culte religieux
et les pratiques funéraires127.
Une des lamelles d'or inscrites de Pyrgi, commémorant la construction d'un temple à Astarté/Uni, v. 500 av. J.-C.
La péninsule Italique n'a pas connu de fondation de colonies
phéniciennes, alors que les Grecs, en premier lieu les Eubéens, s'y
implantent au viiie siècle av.
J.-C. (Pithécusses, Cumes). Il est d'ailleurs probable que de nombreux objets de type
phénicien retrouvés sur les sites de la péninsule aient été importés par des
marchands grecs. Ils sont attestés en particulier en Italie centrale, où
s’épanouissent alors les cités étrusques dont les élites recherchent pour des questions de
prestige des objets de type oriental, avec lesquels elles se font enterrer.
Des artisans phéniciens sont sans doute installés dans certaines de cités
au viie siècle av.
J.-C., car on y trouve des activités de travail
de l'ivoire ou d'orfèvrerie similaires à celle du Levant. D'autres objets
phéniciens moins luxueux se retrouvent également sur des sites étrusques,
comme des céramiques et des amulettes, témoignant de flux d'échanges
constants et importants. Par exemple, le port de Pyrgi, dans le royaume de Caere, comprenait un sanctuaire
dédié à la déesse phénicienne Astarté, assimilée à la déesse locale Uni, comme l'indiquent les inscriptions en étrusque et phénicien
des lamelles d'or de Pyrgi. Tirant profit de ces relations, les Carthaginois et les Étrusques
furent à plusieurs reprises alliés face aux cités grecques, à la bataille d'Alalia en 540,av.
J.-C. et durant les divers conflits entre Carthage et Syracuse128.
Péninsule Ibérique[modifier | modifier le code]
Le Site archéologique de Doña Blanca, près de Cadix.
Félin ailé en bronze, à l'origine une partie d'un meuble, provenant d'un site
indéterminé d'Andalousie et
témoignant de l'influence orientale sur l'art de cette culture à l'époque des
implantations phéniciennes. Vers 700–575 av. J.-C., J. Paul Getty Museum (Los Angeles).
Les fouilles archéologiques semblent indiquer que les Phéniciens
s'installent sur des sites de la péninsule Ibérique vers la fin du ixe siècle
ou le début du viiie siècle, et non pas autour de 1100
comme le prétendent des traditions postérieures rapportées par des auteurs
grecs. Leur venue résulte de la présence dans cette région de riches mines
de cuivre, d'argent et de plomb, situées en Andalousie La
principale fondation phénicienne est là aussi d'origine tyrienne, sur des îles de la baie de Cadix (Gadir en phénicien). Le site
le mieux connu de cet ensemble est le Site
archéologique de Doña Blanca, situé sur le
continent sur la rive nord de l'estuaire du Guadalete. Les sites de la baie de Cadix sont situés au contact de la
culture qui se développe alors dans la vallée du Guadalquivir et autour
de Huelva, que
les auteurs antiques désignent sous le nom de Tartessos, où l'influence phénicienne est très forte (art
« orientalisant »). La seconde vague de fondations phéniciennes sur
la péninsule Ibérique concerne le littoral sud à l'est du détroit de Gibraltar : Toscanos, Almuñecar, Malaga, jusqu'à Guardamar del Segura près d'Alicante. La présence phénicienne
est décelable jusqu'en Catalogne, et une colonie était également présente à Ibiza, qui se développa à l'époque
punique (nécropole de Puig d'es-Molins, sanctuaires d'Isla Plana et de Cueva d'es-Cuyram). Les
marchands de Cadix fondent eux-mêmes leurs propres colonies sur le littoral
atlantique, notamment sur les côtes du Portugal (Alcacer do Sol) et du Maroc (Mogador). L'influence carthaginoise se développe progressivement sur
la partie occidentale des implantations phéniciennes de la péninsule
Ibérique, mais n'atteint l'aire d'influence de Cadix que tardivement, au
moment des conquêtes des Barcides du iiie siècle129.
Des influences différenciées[modifier | modifier le code]
D'un niveau technique généralement plus avancé que les
populations qu'ils rencontrent en Méditerranée occidentale, avec des
organisations politiques plus « complexes », les Phéniciens ont une
grande influence culturelle tandis qu'à l'inverse ils ont peu repris aux
populations autochtones. Ils ont servi de lien entre le monde proche-oriental
et ses traditions pluriséculaires et des sociétés qui souvent avaient des
organisations politiques peu développées et ne connaissaient pas l'écriture
ou la monnaie. Mais cet impact fut différent suivant les sociétés concernées
et leur degré d'organisation avant l'arrivée des Phéniciens. Dans le sud de
la péninsule Ibérique,
il fut très important : l'« orientalisation » y fut forte, et
la culture de Tartessos emprunta beaucoup aux techniques, à l'art et à
l'architecture phéniciens durant les viie – vie siècles av. J.-C. alors qu'elle était marquée
par un processus de construction étatique et de hiérarchisation sociale
pouvant s'inspirer des modèles organisationnels phéniciens. En Sardaigne, l'influence phénicienne
semble surtout avoir concerné le milieu des élites, mais l'organisation
sociale locale, moins complexe que celle du Sud ibérique, semble avoir été
plus déstabilisée que stimulée par ces contacts. En Sicile intérieure, à l'écart
des colonies phéniciennes occupant l'espace côtier, l'influence orientale fut
négligeable. La situation en Afrique du Nord avant l'expansion carthaginoise du vie siècle av. J.-C. reste
obscure131. Les
conquêtes puniques changent progressivement le paysage culturel des régions
dominées, qui sont intégrées directement dans la sphère culturelle punique.
Enfin, le cas de la Grèce présente d'autres spécificités : sortant des
« Âges obscurs »
autour de 800 av. J.-C., développant à l'époque
archaïque une société nouvelle avec des
formes d'organisation politiques originale et connaissant ses propres
expériences coloniales qui l'amène à rencontrer les Phéniciens à l'extérieur,
parfois jusqu'au Levant (à El-Mina), elle emprunta aux Phéniciens divers aspects de leur culture
qui pouvaient alors lui servir, l'alphabet (avant le milieu du viiie siècle av. J.-C.) et
des inspirations artistiques « orientalisantes » (surtout au viie siècle av. J.-C.)119. On a aussi proposé que les
pratiques de sociabilité des élites phéniciennes aient influencé celles de la
Grèce archaïque : le fait de banquetter allongé sur un klinê et le symposion pourraient être des
pratiques inspirées par la Phénicie132. Du reste, les Phéniciens ne sont sans doute qu'un des
vecteurs de cette influence, les Grecs étant depuis longtemps en contact avec
le Proche-Orient et recevant des influences d'autres de ses peuples et
régions à l'époque archaïque, comme l’Égypte et la Mésopotamie133.
La religion phénicienne[modifier | modifier le code]
La documentation sur la religion phénicienne est diversifiée
mais insuffisante pour donner un tableau d'ensemble des croyances et
pratiques religieuses : peu de sanctuaires ont été mis au jour, et les
inscriptions en phénicien donnent des informations limitées sur les croyances
et rituels ; la documentation iconographique est plus importante. Il
faut donc faire appel à des sources extérieures pour compléter nos
connaissances : les textes bibliques fournissent quelques informations,
dans divers passages évoquant de manière critique les cultes
« cananéens », qui peuvent être rattachés à la Phénicie ; les
auteurs de langue grecque d'origine levantine rapportent des informations,
notamment l'Histoire phénicienne de Philon de Byblos ou Sur la déesse
syrienne de Lucien
de Samosate. Les sources sur la religion d'Ugarit sont un
apport essentiel, car elles fournissent un état de la religion des peuples
côtiers du Levant antérieur à la période phénicienne, éclairant souvent les
sources relatives à cette dernière134. La religion phénicienne s'ancre en effet dans le cadre des
religions des peuples ouest-sémitiques du Proche-Orient (Israël antique, Araméens), qui partagent beaucoup
de croyances et de pratiques. Terre de métissages, le Levant antique a de
plus une religion qui porte la marque d'influences extérieures (égyptienne,
syro-mésopotamienne, plus tard grecque). Il ne s'agit évidemment pas d'un
fonds de croyance et de pratiques figés, car il connaît des évolutions durant
tout le Ier millénaire av. J.‑C., certes rarement évidentes à déceler en raison de la pauvreté
de la documentation locale.
Les divinités[modifier | modifier le code]
Statuette en bronze d'une déesse faisant un geste de bénédiction, viiie siècle av. J.-C., musée du Louvre.
Les Phéniciens, dans la continuité des civilisations levantines
antérieures, adoraient une foule de divinités dont ils se disaient les
serviteurs, et cherchaient leur bienveillance. L'univers divin phénicien est
une nébuleuse dans laquelle les personnalités des divinités sont souvent
assez floues, au point qu'il est courant qu'il soit difficile de distinguer
deux figures divines aux traits similaires, d'autant plus que les textes
montrent souvent des associations de divinités aux noms doubles (Tanit-Astarté, Eshmun-Melqart,
etc.). De plus, une divinité peut avoir des personnalités multiples selon les
lieux ; le cas le plus caractéristique étant les différentes divinités
appelées Baal,
nom signifiant « Seigneur », ainsi que leurs pendants
féminins Baalat (« Dame »),
connues sous une multitude de formes à tel point qu'il est difficile de le
considérer comme une divinité unique mais qu'il faut plutôt y voir un
ensemble de divinités autonomes135. Comme dans les panthéons antérieurs, les divinités étaient
souvent liées à des éléments de la nature ou du cosmos : Baal est ainsi
souvent vu comme un dieu de l'Orage, traditionnellement la divinité la plus
importante des panthéons cananéens, il y a également un « Seigneur du
Ciel » (Baal Shamem), tandis que la Lune (Yarih) et le Soleil (Shemesh) sont
divinisés. Les dieux peuvent également être rattaché à des lieux ayant un
caractère sacré, comme les cours d'eau et les montagnes, à l'exemple du
« Seigneur (Baal) du mont Saphon » ou du « Seigneur (Baal) du mont Liban ». D'autres dieux
sont liés à des activités et à la vie humaine : Reshef dieu de la guerre et
de la peste, Kusor dieu
des artisans, Horon dieu protecteur contre les morsures de serpent, ou le
dieu-guérisseur Eshmun. Les divinités féminines ont des caractéristiques
moins bien connues et sont souvent difficiles à distinguer les unes des
autres, sans doute elles sont souvent liées à la fécondité ou
l'amour : Astarté surtout, Anat et Tanit sont les plus attestées dans les textes136. Les Phéniciens adoraient
également des divinités venues d’Égypte, comme Hathor qui était assimilée à
la Dame de Byblos137.
Il n'y avait pas de panthéon phénicien unifié, mais un ensemble
de panthéon locaux variant suivant les cités. Les dynasties régnantes ont des
divinités tutélaires à qui elles attribuent l'origine de leur pouvoir, se
voyant comme les dépositaires d'un mandat divin. Le panthéon de Byblos est ainsi dominé par
la « Dame de Byblos » (Baalat Gebal), qui pourrait être une
manifestation d'Astarté mais
dont l'iconographie la rapproche de la déesse égyptienne Hathor. Les
divinités masculines de Byblos sont apparemment moins importantes : le
« Seigneur du Ciel » (Baal Shamem), le « Seigneur puissant » (Baal Addir), Reshef et Adonis évoqué par Lucien de Samosate, qui est sans
doute une manifestation de Baal. Le panthéon de Sidon est dominé par un
couple divin constitué du « Seigneur de Sidon », apparemment ici
une divinité de l'Orage, et d'Astarté. Eshmun est également très populaire dans ce royaume, où il
dispose de son principal sanctuaire, au point que certains spécialistes
voient plutôt en lui la divinité tutélaire sidonienne. Sarepta semble avoir pour
divinité majeure Tanit-Astarté, figure associant ces deux déesses. La divinité
tutélaire de Tyr est
le « Dieu de la Ville », Melqart, figure qui n'apparaît pas dans la documentation antérieure.
Sa parèdre est comme souvent une hypostase locale d'Astarté138.
Statue en calcaire d'Astarté/Aphrodite, Idalion (Chypre), ve siècle av. J.-C., Neues Museum de Berlin.
Les fondations phéniciennes ont à leur tour élaboré leur propre
panthéon, constitué de divinités originaires de Phénicie, tout en reprenant
souvent des éléments des fonds religieux indigènes et en connaissant quelques
évolutions originales. Kition de Chypre est un lieu de culte majeur d'Astarté et de Reshef, mais on y retrouve aussi Melqart, Eshmun et d'autres divinités. En raison du contact avec les
cités grecques de l'île, un syncrétisme se produit, identifiant notamment
Astarté à Aphrodite et Reshef à Apollon. Ces figures semblent également présenter des traits liés aux
traditions chypriotes plus anciennes. Les Phéniciens installés dans le monde
égéen ou l’Égypte y
pratiquent les cultes phéniciens manifestant leur attachement à leur cité
d'origine. En Occident, les divinités phéniciennes connaissent des destins
similaires, mais l'influence carthaginoise est un facteur important de
l'évolution des panthéons139. Les deux divinités majeures de Carthage sont deux figures
connues en Phénicie mais qui y sont peu populaire, et dont le succès en
Occident est donc surprenant : Baal
Hammon et Tanit. L'origine du premier est mal déterminée, mais avec le temps
il devient un dieu universel ; la seconde semble jouer le rôle de déesse
tutélaire de Carthage. Ces deux divinités ont ensuite connu un grand succès
dans les autres implantations d'origine phénicienne de Méditerranée
occidentale. Mais on y retrouve aussi les divinités phéniciennes plus
courantes comme Astarté, Melqart ou Eshmun. En Sardaigne on trouve le dieu
Sid (le Sardus Pater des Romains, peut-être d'origine égyptienne140). Dans la cité étrusque
de Pyrgi, un
temple dédié à Astarté est construit, où elle est assimilée à la déesse
locale Uni141.
Monnaie de Bérytos/Beyrouth du iie siècle av. J.-C., avec
sur le revers le
dieu Baal de Bérytos portant le trident, reprenant l'aspect de Poseidon.
Les cultes phéniciens perdurent durant la période hellénistique et aux
débuts de notre ère, et connaissent des évolutions, liées en partie à
l'influence culturelle grecque dans les cités de Phénicie142. Les écrivains grecs
antérieurs à cette période avaient déjà l'habitude d'interpréter les
divinités phéniciennes en tentant de les identifier à leurs propres divinités
qui s'en approchaient le plus : Astarté était ainsi identifiée à Aphrodite, Melqart à Hercule, etc. Cela se poursuit, sans vraiment altérer les
caractéristiques des divinités phéniciennes dont le culte traditionnel semble
continuer sans beaucoup de changements. L'influence grecque se décèle surtout
dans l'iconographie des dieux. Le grand dieu de Beyrouth, un Baal local, est ainsi une
divinité liée à la mer qui est identifiée à Poseidon, et est représenté sous l'aspect de ce dernier. L'Apollon de Delphes voit son culte
introduit à Sidon,
où de grandes fêtes lui sont dédiées. La seconde moitié du ier millénaire voit aussi
l'essor des cultes des dieux guérisseurs, notamment Eshmun assimilé à Asclépios, mais aussi des divinités égyptiennes qui
sont traditionnellement bien accueillies en Phénicie (Osiris, Isis, etc.)143. La mythologie phénicienne
n'est préservée que dans ce contexte, par les écrits de Philon de Byblos (début
du ier siècle apr.
J.-C.), qui se serait appuyé sur des archives
provenant de temples phéniciens. Il évoque des mythes relatifs à la création
de l'Univers, la généalogie des dieux et leurs rivalités aux origines des
arts et activités humaines. Là encore les dieux sont souvent désignés par le
nom de leur équivalent grec, et l'auteur cherche à faire des correspondances
avec la mythologie grecque, ce qui rend l'analyse de ces récits difficile144.
Le culte divin : lieux, acteurs et rites[modifier | modifier le code]
Le culte aux dieux phéniciens avait lieu dans différents types
d'espaces considérés comme sacrés, notion fondamentale rendue par des termes
construits à partir de la racine qdš (« sacré », « saint »,
« sanctuaire »)145. Les temples se présentent comme des « maisons » (bt) des divinités qui y sont
vénérées. Les principaux sanctuaires des cités phéniciennes n'ont pu être
dégagés, à l'exception de celui d'Eshmun près de Sidon, dont les niveaux connus datent des périodes tardives. Les
temples fouillés à Sarepta, Tell Arqa, Tell Suqas, Tell Tweini ou Tell Kazel sont de
dimensions modestes, disposent d'une entrée principale conduisant à cour
principale murée délimitant un espace sacré, ouvrant notamment dont la cella où devait se trouver la
statue ou le bétyle des divinités vénérées dans ces lieux. Le mobilier
cultuel consiste en des banquettes, des autels, des bassins et des stèles
auxquelles un culte était rendue (bétyles). Les sanctuaires d'Amrit et d'Aïn el-Haiyat sont quant à eux délimités par une
enceinte sacrée enfermant un bassin au centre duquel se trouvaient une ou
deux petites chapelles ; il s'agissait sans doute de sanctuaires de
dieux guérisseurs. Les Phéniciens adoraient également leurs divinités dans
des lieux de culte en plein air délimités par des enclos et comprenant des
stèles, comme il s'en trouve en Israël146. En dehors de la Phénicie, le
temple le plus vaste à avoir été dégagé est celui de Kition, organisé autour d'une
grande salle rectangulaire à colonnes menant à la cella147.
D'autres temples ont été mis au jour en Occident (Solonte, Sélinonte, Nora, Antas, Tas Silg, etc.), ainsi que des sanctuaires à ciel
ouvert (sur des montagnes, ou des bosquets sacrés) et des grottes sacrées
(à Gozo, Cueva
d'es-Cuyram sur Ibiza, Grotta Regina en Sicile)148,149.
Le culte courant des dieux impliquait un grand nombre de
personnes. Les rois phéniciens pouvaient être amenés à jouer un rôle
cultuel ; un roi de Sidon se proclame même « prêtre d'Astarté », ce qui semble
indiquer un rôle religieux très affirmé. Mais il existait un clergé
spécialisé, les khn, « prêtres » (et aussi les khnt, « prêtresses »),
qui dirigeaient le culte sacrificiel. Une inscription de Kition datée du ve siècle av. J.-C. présente
les différentes catégories de personnes qui assistaient ces prêtres pour
l'organisation des rituels destinés aux dieux : des chantres, des
acolytes, mais aussi des bouchers et des boulangers pour la préparation des
aliments, etc. On trouvait également des prêtres chargés de l'exécution de
certains rituels précis, comme le sacrificateur, ou encore le
« ressusciteur de la divinité » dont la fonction est imprécise150. Le culte est dominé par des
sacrifices très mal connus pour le monde oriental, mais par contre mieux pour
les contrées occidentales grâce aux inscriptions de tarifs sacrificiels
découvertes à Carthage et à Marseille, régulations des sacrifices qu'offraient
des personnes privées pour obtenir les faveurs divines. Elles mettent en
évidence l'existence de différents types d'actes d'offrandes qui existaient
vraisemblablement aussi en Phénicie : sacrifices sanglants d'animaux,
offrandes végétales, libations, ex-votos151. Aucun calendrier cultuel phénicien ou punique n'a été
préservé. L'inscription de Kition mentionne des rituels liés au cycle
lunaire, ayant lieu à la nouvelle lune (néoménie, ḥdš) et lors de la pleine lune (ksʾ). Les fêtes religieuses les plus importantes des cités du
monde phénicien étaient les Adonies de Byblos décrites par Lucien de
Samosate, ou les fêtes du jour de
l'ensevelissement et de la résurrection de Melqart152. Les temples d'Astarté semblent également avoir compris des prostitués sacrés
des deux sexes, mais l'existence et le déroulement de la prostitution sacrée
au Proche-Orient sont discutés. Les particuliers pouvaient quant à eux
s'organiser en associations cultuelles, les marzeah, peut-être spécifiquement liées au culte ancestral153.
Stèle portant le « signe de Tanit », provenant du tophet de Nora en Sardaigne, musée archéologique de Nora.
Les rituels impliquant des sacrifices d'enfants, attestés en
Phénicie et dans le monde punique, ont suscité beaucoup de commentaires, à
partir de la description horrifiée qu'en donnent plusieurs termes bibliques,
parlant d'un lieu appelé Tophet où des jeunes enfants sont sacrifiés au
dieu Moloch. Le terme
de tophet a été repris pour désigner des sanctuaires en plein air où sont
disposés de nombreuses urnes et stèles et une chapelle, retrouvés sur les
sites d'Occident (Afrique du Nord, Sicile, Sardaigne). Les urnes comprenaient
des restes incinérés de jeunes enfants et animaux (des agneaux surtout), et
les inscriptions que portent certaines d'entre elles ainsi que des stèles
indiquent qu'elles étaient vouées à Baal
Hammon et Tanit dans un rite sacrificiel appelé molk, pour obtenir un bienfait ou
remercier la divinité. Les recherches ont démontré que les jeunes victimes
avaient bien été immolées, et n'étaient pas mortes naturellement en bas âge.
Aucune explication satisfaisante n'a encore été apportée sur cette pratique.
Il faut au moins admettre qu'elle était exceptionnelle et donc liée à des
événements particulièrement graves et importants154.
Croyances et pratiques funéraires[modifier | modifier le code]
Bas-relief du sarcophage d'Ahiram de Byblos : le roi défunt, sur son trône (à gauche) reçoit des
offrandes disposées sur une table. Vers 1000 av. J.-C., Musée National
de Beyrouth.
Aux côtés de divinités ayant un aspect chthonien les liant au
monde des défunts (Baal Addir, Milkashtart, Astarté), les Phéniciens ont
personnifié la mort sous la forme d'une divinité nommée Mot (mot signifiant
simplement la « Mort »), bien connu par la mythologie d'Ugarit, qui ne recevait aucun
culte. Comme dans les mythologies de leurs antécédents et des peuples
voisins, les Phéniciens devaient situer le monde des morts dans un monde
infernal souterrain lugubre. Les rois décédés avaient un destin spécifique,
puisqu'ils pouvaient devenir des refaïm (rpʾm), ancêtres royaux divinisés, et recevoir un culte155. Le développement plus tardif
des cultes à des divinités infernales d'origine étrangère, Isis et Osiris ainsi que Déméter et Perséphone, pourrait refléter
l'évolution des croyances vers des inclinations plus eschatologiques156.
Les rituels funéraires sont mal connus ; les cadavres
devaient être purifiés, l'embaumement ayant sans doute existé chez les
élites. Les cimetières sont en tout cas ce que l'archéologie connaît le mieux
de la Phénicie de l'âge du Fer (nécropoles d'Al-Baas près de Tyr, de Sarepta,
de Khaldé)157. L'inhumation
comme la crémation ont été pratiquées dans le monde phénicien et punique,
sans qu'on ne sache les croyances qui présidaient au choix de l'un plutôt que
de l'autre, d'autant plus que les deux formes peuvent se retrouver dans une
même sépulture, même si la première semble quand même avoir dominé. Les
tombeaux collectifs sont courants dans les nécropoles phéniciennes,
regroupant les membres d'une même famille. On les trouve sous des formes
diverses : tombes à fosse, des tombes à
chambre érigées en pierres brutes ou
taillées, ainsi que des hypogées creusées dans la roche. Les tombes
individuelles sont également répandues, qu'il s'agisse de simples fosses
creusées dans la terre ou de tombes en pierre. Les élites, en particulier les
souverains, enterraient leurs défunts dans des sarcophages, comme ceux d'Ahiram de Byblos ou Eshmunazar de Sidon. Les incinérations avaient
lieu dans des espaces de crémation qui ont pu être repéré dans certaines
nécropoles. Les restes des défunts incinérés étaient quant à eux placés dans
des urnes qui étaient ensuite disposées dans des tombeaux ou tout simplement
enterrées. La cérémonie de séparation marquait la fin des rituels
d'enterrement. La présence d'autels ou de stèles au-dessus de tombes indique
la présence de cultes funéraires, sans doute liés à un culte ancestral,
courant dans le Proche-Orient antique. Le bas-relief du sarcophage d'Ahiram
montre le souverain en train de recevoir des offrandes alimentaires. Le culte
des ancêtres royaux devait revêtir une grande importance, en raison de leur
déification158.
Les 22 lettres de l'alphabet phénicien, adaptées à partir des inscriptions des xe – ixe siècles av.
J.-C.
Les Phéniciens rédigeaient leurs textes dans une écriture de
type alphabétique, dans
lequel les signes sont des lettres n'exprimant que des sons, et plus
précisément les plus simples des sons, les consonnes. C'est donc un alphabet
de type consonantique, suivant un principe repris par tous les alphabets sémitiques
postérieurs, qui habituellement ne comprennent pas de signe pour noter les
voyelles (celles-ci sont introduites par l'alphabet
grec). Il comprend 22 signes, correspondant aux
consonnes du système phonétique du phénicien, et s'écrit de gauche à droite, même si dans certaines
inscriptions archaïques il est écrit de droite à gauche ou en boustrophédon159.
Si on le replace dans son contexte d'élaboration, il s'oppose
aux systèmes d'écriture dominants au IIe millénaire av. J.‑C., le cunéiforme ou les hiéroglyphes égyptiens, qui combinent logogrammes (un signe = une chose) et phonogrammes (un signe = un
son, généralement une ou plusieurs syllabes). L'alphabet phénicien n'est pas
la plus ancienne forme d'alphabet, puisqu'on lui connaît des antécédents
remontant peut-être jusqu'au xixe siècle av.
J.-C., dont les plus anciens exemplaires ont été
découverts en Égypte. Deux alphabets semblent s'être développés durant la première
moitié du iie millénaire : l'alphabet « Proto-Sinaïtique » qui tire son nom du fait qu'il a été d'abord découvert
dans le Sinaï, mais qui est désormais connu aussi en Égypte où il pourrait
être apparu160 ;
l'alphabet « Proto-Cananéen », connu sur des sites de Canaan161. Il s'agit d'alphabets linéaires, dans lesquels les signes
sont tracés par des lignes. Leurs évolutions durant la majeure partie de la
seconde moitié du iie millénaire sont mal
connues car ils sont très peu attestés. Puis vers la fin de cette période
apparaît l'alphabet phénicien, forme qui est amenée à assurer le succès de
l'alphabet linéaire162.
Entretemps, un alphabet cunéiforme a été développé à Ougarit, à partir de modèles d'alphabets linéaires qui devaient
exister mais n'ont pas été préservés ; d'autres types d'alphabets
cunéiformes devaient exister en Phénicie même, connus par quelques
trouvailles sporadiques163.
L'alphabet phénicien se développe au moins à partir du xie siècle av. J.-C. Les
scribes phéniciens ont alors fait le choix d'abandonner l'alphabet cunéiforme
écrit surtout avec un calame sur des tablettes d'argile pour l'alphabet
linéaire écrit surtout à l'encre sur du parchemin ou du papyrus. Ce choix
s'explique sans doute par la commodité de ces supports, mais n'arrange pas
les historiens de l'écriture puisqu'il s'agit de matières périssables à la
différence de l'argile, dont les exemplaires ont tous disparu. Restent donc
quelques inscriptions brèves sur des supports pouvant occasionnellement
traverser les siècles, surtout les tessons de céramique et la pierre (en
particulier le sarcophage d'Ahiram, un des plus anciens textes phéniciens connus), voire le
métal, ce qui rend limite le corpus de textes connus pour les débuts de
l'alphabet phénicien. À partir du début du ier millénaire, cette écriture se propage rapidement : on l'emploie
à Chypre dès
le milieu du ixe siècle av.
J.-C., mais aussi vers la même période à Nora en Sardaigne (la stèle de Nora) ; son succès
est tel qu'on la retrouve en dehors de la sphère phénicienne, dans des
inscriptions royales à Sam'al (ixe siècle av.
J.-C.) et Karatepe (viiie siècle av.
J.-C.), royaumes de tradition néo-hittite et araméenne. Durant les siècles
suivant, elle est attestée dans les régions où les Phéniciens sont installés
(« colonies » de la Méditerranée occidentale, Mésopotamie, Égypte, Levant méridional, Anatolie, monde égéen, etc.)164. Cette écriture connaît des
évolutions affectant surtout l'aspect des lettres : on distingue ainsi
le type « phénicien », utilisé en Phénicie même et durant les
premières périodes de l'expansion phénicienne, tandis qu'à partir du ve siècle av. J.-C. une
variante « punique » se développe dans la sphère carthaginoise,
puis « néo-punique » qui, contrairement à ce que son nom indique,
pourrait s'être développée en Phénicie avant de se diffuser en Afrique du
Nord à partir du ier siècle av.
J.-C.165. L'alphabet
phénicien a sans doute servi de base à la diffusion du système alphabétique
linéaire, adapté pour d'autres langues durant la première moitié du Ier millénaire av. J.‑C. : l'hébreu vers le xe siècle av. J.-C., l'araméen dans le courant
du ixe siècle av.
J.-C., le phrygien au début siècle suivant, et le grec peu après166.
Inscription en phénicien du roi Kilamuwa de Sam'al, ixe siècle av.
J.-C., Pergamon
Museum.